Pierre Abélard étant convaincu d'hérésie ne devrait pas 
						pouvoir espérer qu'il trouvera un refuge auprès des 
						cardinaux et de la cour de Rome.
						 
						A 
						son intime et très illustre ami Haimeric, cardinal 
						diacre et chancelier de la cour romaine, Bernard, abbé 
						de Clairvaux, souhaits qu'il se conduise avec sagesse 
						devant Dieu et devant les hommes.
						 
						
						1. Ce que je n'avais entendu que de mes 
						oreilles de la doctrine de Pierre Abélard, je l'ai vu de 
						mes propres yeux dans ses livres. J'ai remarqué ses 
						expressions, j'ai noté le sens qu'elles cachaient, 
						lequel pour moi n'est qu'un sens pernicieux. Notre 
						nouveau théologien se sert des propres paroles de la loi 
						pour renverser la loi elle-même; il jette les choses 
						saintes aux chiens et les perles aux pourceaux; 
						corrupteur de la foi des simples, il souille la pureté 
						même de l'Église. Il est dit que le vase garde longtemps 
						sa première odeur (Horace). On a retiré des flammes un 
						livre qu'on avait condamné à y périr, et c'est dans le 
						sein de l'Église qu'un ennemi déclaré de l'Église, un 
						persécuteur de la foi vient chercher un asile; c'est 
						elle-même qui le relève après qu'il a été terrassé : 
						Périsse, est-il dit, celui qui souille la couche de son
						te 
						père et porte atteinte à l'honneur de son lit ! Or cet 
						homme a déshonoré l'Église et infesté de ses vices les 
						âmes des simples. Il prétend aborder avec les seules 
						lumières de la raison les mystères qui ne sont 
						accessibles qu'à la vivacité d'une foi pieuse et soumise 
						qui croit sans examen. Pour lui, doutant de Dieu même, 
						il ne veut croire que ce que sa raison saisit et 
						comprend. Le Prophète a beau dire : « Vous ne 
						comprendrez pas si vous ne croyez pas (Isa., VII, 9), » 
						Abélard traite la foi spontanée de pure crédulité, en se 
						fondant mal à propos sur ces paroles de Salomon : « 
						Celui qui croit promptement est un esprit léger (Eccli., 
						XIX, 4). » Qu'il blâme donc Marie d'avoir cru sans 
						hésiter à la parole de l'ange lui disant : « Vous 
						concevrez et vous mettrez un enfant au monde (Luc., I, 
						21); » qu'il blâme également celui qui, à sa dernière 
						heure, à sa dernière minute, ajouta foi sans balancer 
						aux paroles du mourant qui lui disait : « Aujourd'hui 
						même vous serez avec moi dans le paradis (Luc., XXIII, 
						43), » et qu'il réserve ses louanges pour les coeurs 
						durs qui méritèrent d'entendre ce reproche du Sauveur 
						lui-même : «  O insensés! coeurs lents et tardifs à 
						croire ce que les prophètes ont prédit (Luc., XXIV, 25), 
						n et qu'il garde son approbation pour celui qui â mérité 
						d'entendre ces mots : « Pour n'avoir point ajouté foi à 
						ce que je vous ai dit, vous allez perdre la parole et 
						devenir muet (Luc., I, 20). »
						
						2. Mais, pour renfermer en peu de mots ce 
						que le cadre étroit d'une lettre ne peut recevoir tout 
						au long, je vous dirai que notre admirable docteur à de 
						commun avec Arius de distinguer des degrés dans la 
						Trinité; avec Pélage, de faire le libre arbitre 
						supérieur à la grâce; avec Nestorius, de diviser 
						Jésus-Christ en niant l'union de son humanité à la 
						Trinité, après tout cela il se vante d'avoir ouvert les 
						canaux de la science aux cardinaux et aux 
						ecclésiastiques de la cour de Rome, de leur avoir fait 
						recevoir et goûter ses livres et ses maximes, et de 
						compter des partisans dévoués de ses erreurs dans ceux 
						mêmes en qui il ne devrait trouver que des juges pour le 
						condamner.
						
						Hyacinthe m'a fait bien des menaces qui 
						sont demeurées sans effet, parce qu'il n'a pu y donner 
						suite. Après tout, je n'en ai pas été surpris, puisqu'il 
						n'a su garder de mesure à Rome même, ni envers le Pape, 
						ni envers la cour de Rome. Mon cher Nicolas, qui 
						d'ailleurs vous est aussi dévoué qu'à moi, vous 
						apprendra de vive voix, mieux que je ne pourrais le 
						faire par écrit, tout ce qu'il a vu et entendu.
								
								OEUVRES COMPLÈTES 
								DE 
								SAINT BERNARD
								TRADUCTION NOUVELLE PAR M. 
								L'ABBÉ CHARPENTIER
								PARIS,  
								LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue 
								Delambre, 9, 1866
								
								
								http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm
						Pour les commentaires de Horstius et Mabillon, se 
						reporter au site de l'abbaye Saint-Benoit
						qui a mis en ligne cette traduction, 08/12/2003
			
				
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