EXPOSITIO  IN HEXAMERON

Commentaire sur l'Œuvre des six jours
Pierre Abélard

Patrologie latine, tome 178, col. 777 sq

"l'arbre de la connaissance du bien et du mal fut la vigne"

Parmi les livres  de l'Ancien Testament, les Pères de l'Eglise, notamment Origène et Saint Jérôme, citent les trois livres les plus difficiles : Le début de la Genèse, Le Cantique des cantiques, La prophétie d'Ezéchiel sur la construction du temple. C'était aussi l'avis des commentateurs juifs qui ne permettaient l'accès à ces livres qu'aux gens expérimentés. Abélard n'ignore pas cela et ne va pas reculer devant la difficulté de commenter la Genèse. Il va s'appliquer à dégager les divers sens de l'Ecriture : littéral, moral et allégorique.

Héloïse, nous dit Abélard dans la préface, le lui avait demandé en le suppliant pour que ce commentaire puisse servir à la formation spirituelle de ses filles. Abélard ne peut refuser à Héloïse, sa sœur, chère autrefois dans le siècle, très chère aujourd'hui dans le Christ. "
soror Heloissa, in saeculo quondam chara, nunc in christo charissima"

Abélard va donc prendre un à un les versets des premiers chapitres et arrive à la description du jardin d'Eden, le paradis terrestre. Voilà donc le passage qui nous intéresse. Il va nous éloigner de l'image traditionnelle du fruit du pommier que l'on trouve dans toute la peinture.

La vigne est l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
 Le fruit que vont manger Ève et Adam est un raisin.

L'arbre de la connaissance du bien et du mal est une vigne.
C'est une vigne enroulée sur le tronc d'un orme. "Nous voyons souvent, dit Abélard, une vigne soutenue par un orme et l'enserrant comme s'ils constituaient un corps unique."


La vigne est une liane
qui grandit très rapidement. Les rameaux peuvent atteindre 15 m en une année. Les vrilles permettent aux sarments de s'accrocher aux palissage. Les bois disposent de nombreux nœuds espacées d'une distance régulière appelée mérithalle. Chaque noeud donnera naissance à une feuille, ou une grappe. Le système racinaire de la vigne va chercher ses ressources très profondément. La vigne est donc une plante très résistante, elle supporte très bien les fortes sécheresses. Un climat sec durant le développement des raisins permet de limiter la quantité d'eau dans la pulpe et donc d'améliorer leur qualité.

Le fruit défendu c'est le raisin.

Avec le jus du raisin on fait le vin. Abélard commente :"selon que le vin tiré de son fruit est pris avec ou sans mesure, il fait connaître à l'homme le bien ou le mal." et plus loin :"Car ce fruit ou le vin que l'on en tire produit un échauffement qui porte intensément à la luxure."Il continue :"Du fait de cette tendance à la luxure qu'il a éveillé chez les premiers hommes et qui, les faisant rougir, les a conduits à couvrir leurs parties sexuelles, il est naturel que cet arbre ait été appelé arbre de la connaissance du bien et du mal."

"'Les juifs estiment que l'arbre de la connaissance du bien et du mal fut la vigne et qu'au milieu du paradis elle était attachée à l'arbre de vie ainsi que nous voyons souvent maintenant une vigne soutenue par un orme et l'enserrant comme s'ils constituaient un corps unique. Ils fondent aussi leur identification à la vigne de l'arbre de la connaissance du bien et du mal sur ce que, selon que le vin tiré de son fruit est pris avec ou sans mesure, il fait connaître à l'homme le bien ou le mal, c'est‑à‑dire qu'il le met en de bonnes ou de mauvaises dispositions, avivant ou troublant son esprit. Pour interpréter le fruit en lequel les premiers parents ont péché comme étant le raisin, ils se fondent aussi sur cette parole du prophète: Nos pères ont mangé du raisin amer (Jr 31,29), c'est‑à‑dire le fruit par lequel nous avons éprouvé l'amertume du châtiment. Ce qu'il précise tout de suite: et les dents des fils en ont été cariées, c'est‑à‑dire que le châtiment se poursuit, une fois transmis à la postérité. Il n'est peut‑être pas déplacé de voir comme confirmant cette opinion que, juste après avoir mangé de cet arbre, ils ont senti leur libido s'éveiller. Car ce fruit ou le vin que l'on en tire produit un échauffement qui porte intensément à la luxure ainsi que le dit l'Apôtre: Ne vous enivrez pas avec le vin en lequel est la luxure (Eph 5,18)

Du fait de cette tendance à la luxure qu'il a éveillée chez les premiers hommes et qui, les faisant rougir, les a conduits à couvrir leurs parties sexuelles, il est naturel que cet arbre ait été appelé arbre de la connaissance du bien et du mal. En conséquence de cet événement, le fait de goûter à cet arbre, qui avait amené Adam, par cette désobéissance, à attirer sur lui comme sur ses descendants le châtiment, suscita par la suite en sa postérité une telle horreur que l'on décida de s'en abstenir, si bien que, jusqu'au déluge, il semble que personne n'ait touché au vin, comme si l'on avait gardé le souvenir du châtiment encouru pour avoir eu contact avec le fruit interdit. Après le déluge, on nous raconte que Noé, ayant planté une vigne comme s'il avait perdu le souvenir de la transgression susdite, s'enivra de vin et que tout de suite sa honte s'exprima dans la mise à nu de ses organes sexuels. Il en avait été de même avec les premiers parents dont on nous rapporte que, ayant péché en goûtant à l'arbre interdit, ils rougirent tout de suite de leur nudité et se hâtèrent de couvrir leurs parties sexuelles, ainsi que deux des fils de Noé se chargèrent de le faire pour lui, tandis que le troisième se moquait de son père".

Traduction : Dominique Barthélemy o.p.

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