La chapelle Saint-Aignan

Mariage d'Héloïse et d'Abélard

Notre-Dame de Paris, vue de l'est, de la rue Cloître- Notre-Dame.

La construction de cette cathédrale gothique qui a commencée en 1163 sous Maurice de Sully a duré jusqu'en 1350.

C'est une ancienne cathédrale romane qui existait au temps d'Abélard.

La chapelle Saint-Aignan
Cette chapelle est située à Paris, dans l'Île de la cité, 15 rue des Ursins, au nord de Notre-Dame, "adossée aux remparts, elle faisait partie du quartier canonial. Elle est le seul vestige de la vingtaine de chapelles et d'églises que comportait la Cité au XIIe siècle. Fondée vers 1116 par Etienne de Garlande, doyen de Saint-Aignan d'Orléans et chancelier de Louis VI. Deux chanoines la desservaient.
La chapelle comportait trois travées une pour le choeur et deux pour la nef, soit à peu près 10 m x 5. Fermée presque toute l'année au XVIIIe siècle, elle fut vendue en 1791 comme "bien national" et partagée entre deux propriétaires. Pendant la terreur des prêtres réfractaires y sont venus dire la messe.

Plan de la chapelle Saint-Aignan
La partie Est a disparu

Le choeur a disparu, restent une travée et demie avec l'une des portes d'entrée. Après divers usages profanes la moitié restante fut restaurée et rendue au culte pour le service des séminaristes du diocèse de Paris. Les chapiteaux sont assez bien conservés ainsi que les voûtes romanes"

"On dit que saint Bernard y venait y prier ainsi qu'Abélard"

Commission diocésaine d'art sacré de Paris
http://catholique-paris.cef.fr/diocese/cdas/lieux/aignan.htm

Cette chapelle est une propriété privée qui ne se visite pas. Elle est cependant ouverte chaque année quelques heures à l'occasion de la journée du patrimoine puisque c'est un monument historique classé par arrêté du 29/06/1996 en ce qui concerne la nef et le 29/09/1995 en ce qui concerne les vestiges du choeur.
 

Etienne de Garlande (vers 1070-vers 1148)


Île de la Cité à la fin du XIIe
 
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La personnalité du fondateur de cette chapelle est l'une des plus marquantes de la première moitié du XIIe siècle. Elle  permet de fixer quelques repères historiques.
 Etienne est cadet d'une fratrie de cinq garçons d'une importante famille  aristocratique de l'Île de France. Il est destiné à une carrière ecclésiastique. Avant 1095, il est chanoine de la cathédrale de Paris, puis archidiacre en 1104.
Il mène en même temps une carrière politique : chancelier de Philippe Ier 1105-1106, puis de Louis VI en 1108. Cette double carrière lui vaut l'hostilité de saint Bernard qui considère comme une "puanteur" d'être en même temps clerc et chevalier.

Nommé évêque de Beauvais par Philippe Ier en 1101, il ne pourra en fait obtenir cette charge en raison de l'opposition d'Yves de Chartres qui l'accuse d'être "pas même un sous-diacre, un illettré, un joueur et un coureur de femmes (rapportant) qu'il fut accusé d'adultère". Etienne passe habituellement pour un opposant au courant de réforme grégorienne impulsé par saint Bernard. Il a néanmoins des amis puissants parmi les moines, comme Suger, et les ecclésiastiques, comme  Hildevert de Lavardin du Mans et Geoffroi de Lèves de Chartres.
Il est doyen de Sainte-Geneviève en 1111 et, succédant à son frère, sénéchal de Louis VI en 1120. Il devient ainsi, après le roi l'homme, le plus puissant du royaume.
On n'oubliera pas qu'en 1122 il soutient Pierre Abélard dans sa négociation avec Suger pour obtenir le droit
 de quitter Saint-Denis et fonder le Paraclet
.


Angle sud-est -Demi travée


 Chapelle Saint-Aignan
Mur sud : travée complète


Angle nord-est- Demi travée

Une chapelle personnelle

Société Française d'Archéologie, Bulletin Monumental, Tome 157-III, 1999, p.283 et sq. Lindy Grant, François Hebert-Suffrin, Danièle Johnson.
Cette chapelle faisait partie d'une maison construite pour lui-même par Etienne de Garlande. En 1108, Etienne a légué cette propriété par testament à la cathédrale. C'est vers 1119 qu'il y établit deux chanoines prêtres chargés de prier pour sa mémoire et celle de ses parents. Un acte de restitution de Louis  VI à l'évêque de Laon, en présence du légat du pape, Conon de Praeneste, a été signé dans cette chapelle Saint-Aignan en 1121. Elle était donc achevée à cette date. La partie orientale de la chapelle a pratiquement disparu mais la partie occidentale (une travée et demie seulement séparée par un mur de refends de l'autre partie) représente bien l'état de la chapelle au XIIe siècle.

Chapelle du mariage secret d'Héloïse et d'Abélard ?

Dans l'historia calamitatum Abélard relate ainsi son mariage :

"Nous confions donc à ma soeur notre jeune enfant, et nous revenons secrètement à Paris, Quelques jours plus tard, après avoir passé une nuit à célébrer vigiles dans une église, à l'aube du matin, en présence de l'oncle d'Héloïse et de plusieurs de nos amis et des siens, nous fûmes unis par la bénédiction nuptiale. Puis nous nous retirâmes secrètement chacun de notre côté, et dès lors nous ne nous vîmes plus qu'à de rares intervalles et furtivement, afin de tenir le plus possible notre union cachée."

La date de ce mariage peut se situer en 1118. L'église dont parle Abélard n'a jamais été identifiée. Mais la chapelle Saint-Aignan serait tout indiquée. Elle est située en bordure de l'espace canonial du cloître Notre-Dame. Elle est donc proche de l'habitation de Fulbert, que l'on situe celle-ci à l'intérieur de cet espace ou bien à l'extérieur. La protection et la caution des Garlande est  vraisemblable, à plus forte raison si l'on suit la thèse de Guy Lobrichon qui fait d'Etienne de Garlande l'oncle d'Héloïse, son père étant Gilbert.
En tout état de cause, même si le mariage a eu lieu ailleurs, Héloïse et Abélard ont connu et sans doute fréquenté cette chapelle. Ils y ont prié.


Chapiteau du mur sud, vu du nord est
corinthisant


Chapiteau mur nord

Saint Bernard à la chapelle Saint-Aignan
  • Le fameux sermon aux clercs parisiens (sans doute au printemps 1142)

Ce long sermon  en vingt deux chapitres est une admonestation sévère et grave aux clercs - étudiants et professeurs parisiens - pour les inviter vigoureusement à se convertir, à mener une vie sainte, conforme à leur statut de clerc, c'est à dire à accepter le réforme grégorienne. Son titre "de conversione" est tout un programme.
Le chapitre XIX a pour sujet : "blâme sévère adressé aux ambitieux qui ont l'audace de s'immiscer sans en être dignes dans l'exercice des fonctions saintes". Le chapitre XX s'intitule "paroles pleines de véhémence de saint Bernard contre la vie dissolue et l'incontinence des clercs."  La simonie (achat de charges ecclésiastiques) et le nicolaïsme (concubinage des clercs) sont particulièrement les vices que dénonce Bernard. Ce sermon, surtout dans sa partie finale, est aussi une attaque contre l'influence qu'Abélard a pu avoir sur les étudiants parisiens : "s'attribuer non seulement la clé de la science mais encore celle de l'autorité."

Sermon ou livre de saint Bernard, abbé, aux prêtres sur la conversion
34 - "L'Église, il est vrai, semble avoir élargi ses tentes, l'ordre très saint du clergé a vu de même ses rangs grossir, et le nombre des frères s'est beaucoup accru ; mais, Seigneur, en multipliant votre peuple, vous n'avez point ajouté à sa gloire, puisqu'il semble avoir perdu en mérites ce qu'il a gagné en nombre. On se précipite partout vers les ordres sacrés, et on voit des hommes se charger sans trembler, sans même y penser, de ces ministères dont les anges appréhenderaient de se voir chargés eux-mêmes. On ne craint pas en effet de recevoir en mains les insignes d'une autorité divine, ou de porter sur sa tête la couronne qui en est l'emblème, quoiqu'on soit esclave de l'avarice, dominé par l'ambition, subjugué par l'orgueil et sous la loi de la luxure et de l'iniquité, et qu'on recèle peut-être au fond de son coeur de ces mystères d'abomination que nous ne pourrions voir sans frémir, s'il nous était donné, selon le mot d'Ézéchiel (Ezech., III, 8), de percer la muraille pour être témoins des horreurs qui souillent la maison de Dieu. En effet, sans parler des fornications, des adultères et des incestes, les passions"
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome02/pretres/pretres.htm#_Toc54069754

  • Les fruits immédiats de conversion de ce sermon

Selon l'hagiographe de saint Bernard, Geoffroy, religieux puis abbé de Clairvaux, trois clercs abandonnent "leurs vaines études" et rentrent sur le champ au monastère de Clairvaux "où il font une très heureuse fin" :

CHAPITRE II. Bernard se fait remarquer par le don de prophétie, et par la révélation des choses futures.
 10 - "Un jour notre saint abbé passait par le territoire de Paris; l'évêque de cette ville, Étienne, et beaucoup d'autres le conjurèrent instamment de s'arrêter dans cette cité, mais ne purent l'obtenir. Il évitait, en effet, avec le plus grand soin, toutes les réunions publiques, à moins qu'il n’eut un motif grave de s'y trouver. Le soir donc, il avait fixé son itinéraire pour aller d'un autre côté; cependant, dès que le jour parût, sa première parole à ses frères fut pour leur dire: «Allez informer l'évêque que nous irons à Paris comme il nous l'a demandé. » Un nombreux clergé se réunit donc, car les clercs avaient l'habitude de le prier de leur faire entendre la parole de Dieu. Tout à coup trois d'entre eux touchés de componction, abandonnent les vaines études qui les charmaient, pour se livrer au culte de la sagesse, renoncent au siècle et s'attachent au serviteur de Dieu."
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome08/vie01/tome8005.htm#_Toc58497431

  • Les pleurs de Bernard dans la chapelle Saint-Aignan

Pour un autre hagiographe qui s'exprime dans "le grand exorde de CÎteaux" la conversion des clercs est difficile et Bernard voyant son échec, dans un premier temps, s'effondre en pleurs dans la chapelle de l'Archidiacre. "On entendait dehors ses gémissements et ses sanglots qu'il ne pouvait étouffer". L'Archidiacre est évidemment Etienne de Garlande et sa chapelle, la chapelle Saint-Aignan. Cette rencontre entre Bernard et Etienne de Garlande ne peut-elle pas être interprétée comme une réconciliation ?

CHAPITRE XIII. Vocation religieuse de plusieurs clercs de Paris.
 "Un jour, Bernard, l'homme de Dieu, eut un motif de venir à Paris, et, à la prière des clercs, il se rendit suivant son habitude à leurs écoles. Il leur montra la forme de la vraie philosophie, en les engageant à mépriser le monde, et à embrasser, pour notre Seigneur Jésus-Christ, la pauvreté volontaire. Le sermon fini, comme aucun clerc ne se convertissait, Bernard sortit la tristesse dans l'âme de ce que ses voeux n'étaient point accomplis comme ils l'étaient ordinairement, et, en arrivant à la maison d'un archidiacre, qui l'avait décidé à recevoir l'hospitalité chez lui, il se retira dans l'oratoire qu'on lui avait préparé. S'étant mis en prière avec une grande ardeur, il fondit en larmes, dans des sentiments d'une vive componction, au point que, du dehors, on entendait ses gémissements et ses sanglots, qu'il ne pouvait étouffer. En voyant cela, l'archidiacre dont nous avons parlé s'informa auprès des compagnons du saint, de ce qui pouvait être la cause d'une si grande douleur. L'un deux, un religieux, ancien abbé de Foigny, nommé Rainaud, qui était dans le secret des sentiments du serviteur de Dieu, lui répondit, comme nous l'avons appris de sa bouche: « Cet homme admirable, tout entier consumé par le feu de la charité, tout entier absorbé en Dieu, ne désire rien tant au monde, que de pouvoir ramener dans la voie de la vérité ceux qui s'en écartent, et de gagner leurs âmes à Dieu; et comme il vient de semer la parole de vie dans les écoles, et qu'il n'a pas recueilli le fruit de son sermon sur la conversion des clercs, il pense que Dieu est irrité contre lui, puisqu'il ne sent pas aujourd'hui son regard dans sa prédication. Voilà d'où viennent ses nombreux gémissements et ses torrents de larmes, et j'espère bien que la fertilité de la moisson de demain le récompensera, par son abondance, de la stérilité d'aujourd'hui.

Cet échec ne sera que provisoire et comme dans la première recension de cet épisode le succès est enfin au rendez-vous, plusieurs clercs se convertissent le deuxième jour. Il les fait conduire aussitôt à Clairvaux. Le troisième jour, après avoir passé la nuit à Saint-Denis, Bernard revient de bon matin à Paris et de nouveau trois clercs se font disciples de Bernard et se mettent à le suivre.

Le matin étant donc venu, notre admirable prédicateur retourna aux écoles, et, selon le désir du Seigneur il conduisit la barque de sa pensée en haute, mer, et jeta, pour la pèche, les filets de la sainte Écriture. A la fin de son sermon, plusieurs clercs se rendirent par ses mains au Seigneur. Il les retira aussitôt des périls du monde, comme du milieu des flots de la mer, et, ayant loué des chars pour eux, il les fit conduire sans retard dans le port assuré de Clairvaux. Il quitta enfin la ville, suivi de sou cortège ordinaire, et se rendit à Saint-Denis, où il passa la nuit. Le lendemain, de grand matin, comme ses frères pensaient qu'il allait continuer sa route directement, il leur dit. « Nous devons retourner tous à Paris, car il y a encore dans cette ville quelques-uns des nôtres qu'il faut que nous en tirions pour les conduire dans la bergerie du Seigneur, afin qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur.» A peine entrait-il dans la ville, qu'il vit de loin trois clercs venir à sa rencontre. Il dit alors à ses compagnons: «Le Seigneur nous rend notre liberté, nous pouvons continuer notre route, car c'est pour ces clercs que nous étions revenus sur nos pas. » Ceux qui venaient, en apprenant que Bernard n'était pas loin, ressentirent une grande joie, et s'écrièrent: « Comme vous arrivez bien à propos, ô notre bienheureux père ; nous avions l'intention d'aller vous rejoindre, mais vous étiez parti, nous ne pensions pas pouvoir vous atteindre.» Bernard leur répondit en ces termes: « Je le savais bien, mes chers amis, aussi avais-je hâte d'aller à votre rencontre dans votre fuite, avec des pains à la main. Marchons donc maintenant ensemble, et, avec la grâce de Dieu, je vous montrerai la route. » Il réunit donc à sa troupe ceux dont nous venons de parler; ils suivirent le saint, s'attachèrent à lui et, à son école, ils firent la guerre spirituelle tous les jours de leur vie.
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome08/vie01/tome8008.htm#_Toc5858941

  • Sources

- Voir sur le même sujet le site du docteur Werner Robl
http://www.abaelard.de/abaelard/030029sens.htm
- Les citations de saint Bernard ou de ses biographes sont extraites de :
OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT BERNARD,TRADUCTION NOUVELLE PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS,  LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR , 9, Rue Delambre, 9, 1866, numérisée en 2003 par l'abbaye de Saint-Benoît de Port-Valais, Suisse
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La description de la chapelle se réfère à

Société Française d'Archéologie, Bulletin Monumental, Tome 157-III, 1999, p.283 et sq. Lindy Grant, François Hebert-Suffrin, Danièle Johnson.
- Voir la présentation de la Commission d'art sacré du diocèse de Paris :
http://catholique-paris.cef.fr/diocese/cdas/lieux/aignan.htm


Ironie de l'histoire

Une notice historique et archéologique de A.P.M. Gilbert de 1847 indique "qu'au fond de l'abside se voyait un autel en pierre décoré d'un retable peint sur bois à l'eau d'oeuf, représentant le mystère de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint Esprit devant lequel étaient agenouillés les chanoines de Notre-Dame, l'aumusse de menu vair(petit-gris) sur l'épaule.
Ce tableau du XVe aurait été acquis par Monsieur Alexandre Lenoir pour le compte du gouvernement et placé dans le musée des Monuments français."

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