Les Vignerons  du  PALLET
et  le  jugement  de
CONAN III - 1112/1148


 



L'association Culturelle Pierre Abélard fait
les vendanges au musée du vignoble du Pallet

Un conflit fiscal avec les moines de Saint-Martin de Vertou

Les chevaliers tenanciers du Pallet qui dépendent du monastère de Saint-Martin de Vertou ont planté des vignes là où auparavant il y avait des terres ou des pacages, à moins qu'il ne s'agisse d'un défrichage de forêt. Ils  ont alors suspendu le paiement de tous les droits qui concernaient les espaces plantés de vignes.
Les moines ne l'entendent pas de cette oreille et se plaignent au comte de Nantes.
L'arbitrage du comte est en faveur des moines ; les vignerons du Pallet sont condamnés à payer aux moines les mêmes droits pour les vignes que pour les terres. Ils doivent aussi s'acquitter des arriérés.

 

JUGEMENT DE LA COUR DU DUC CONAN III POUR LE MAINTIEN DES DROITS DU MONASTÈRE DE ST-MARTIN DE VERTOU.

1112-1148

"Notum sit omnibus hominibus tam presentibus quam futuris homines de castellania Palatii, de jure beati Martini Vertavensis, terragium et decimam et vachagium et pasnagium aliosque honores longo tempore absque aliqua calumpnia et contradictione monachis ejusdem sancti, antequam vineae in eadem terra fierent,  reddidisse; vineis autem in eadem terra factis, jure beati Martini, ut supra diximus, per aliquot annos injuste retinuisse. Unde, clamore multotiens ab eisdem monachis facto, tandem ego Conanus comes, motus precibus Aimerici Augerii, tunc temporis ejusdem loci praepositi, aliorumque monachorum, milites de terra illa, ut quod justitia dictaret facerent, Palatio advocare praecepi. Barones vero qui tunc temporis in curia mecum aderant, audita utriusque partis ratione, monachorum videlicet et eis contradicentium, sicuti de messibus, unde milites minime contradicebant terragium caeteraque jura supradictis monachis reddere solebant, sic de vineis reddi judicaverunt, et quantum de jure illorum vi et injuste diu retinuerant, cum emendatione mea redderent. Hoc judicium in mea praesentia factum, videntibus et judicantibus bis quorum nomina in hae pagina subtus scribuntur aliisque compluribus, sigillo meo munire decrevi.

+ Signum Hoelli filii comitis. + S. Conani comitis. + S. Gestini de Aurai. S. + Hayi de Guircheia. + S. Radulfi Archiepiscopi. + S. Men de Guerrandia. + S. Samsonis de Haleia. + S. Horri de Molendinis.

La Borderie, A., Recueil d'actes inédits des ducs et princes de Bretagne, Paris 1889, page 85.


Qu’il soit porté à la connaissance de tous, présentement et dans l’avenir que les « tenanciers » (homines) de la châtellenie du Pallet qui, en droit, dépendent du monastère de Saint-Martin de Vertou, ont régulièrement acquitté l’impôt foncier, la dîme, les droits de pacage pour les bovins et les porcs, et toutes autres redevances, cela depuis longtemps, sans contestation ni opposition, avant que des vignes ne fussent plantées sur ces mêmes terres. Cependant, une fois ces vignes établies sur les terres susdites, les droits du bienheureux Martin, droits dont nous avons parlé ci-dessus, n’ont pas été respectés, en violation de la justice et cela pendant plusieurs années. C’est pourquoi les moines ont, de nombreuses fois, protesté. Finalement, moi, Conan, comte (de Nantes), ému par les prières d’Aymeric Auger, actuellement prévôt de ce monastère (Saint-Martin de Vertou), ainsi que par les prières des autres moines, j’ai ordonné de faire comparaître  les chevaliers tenanciers (milites) du Pallet qui exploitent ces terres afin qu’ils respectent les décisions qui seront dictées par la justice. C’est pourquoi les barons qui siégeaient dans mon palais (du Bouffay) ont entendu les arguments des deux parties adverses, c’est-à-dire ceux des moines et ceux de leurs contradicteurs. Ils ont jugé que de même que, pour les moissons, les chevaliers (milites) acquittaient habituellement -ce qu’ils n’ont pas du tout contesté- les impôts fonciers et autres redevances au profit des moines susnommés, de même ils devaient le faire pour les vignes. Quant à la totalité des redevances dues aux moines et retenues longtemps et injustement  par violence, les chevaliers, que je remets ainsi dans le droit chemin, devront  les rendre.

Ce jugement est porté en ma présence, sous les yeux et avec l’accord de ceux dont les noms sont inscrits au bas de cette page, ainsi que de plusieurs autres. Je le confirme par mon sceau.

Signé : Hoël, fils du comte, Conan, le comte, Gestin d’Auray, Hay de la Guerche, Raoul l’Archevêque, Men de Guérande, Samson de Haleia, Orric des Moulins.

Les origines de la culture de la vigne au Pallet.

Ces chevaliers qui plantent des vignes sont issus de lignages chevaleresques propriétaires d'alleux. Les redevances en nature que réclament les moines ne sont-elles pas proches du contrat de "complant" ? Ce contrat était lié dans l'antiquité à la colonisation agraire. Il paraissait assez adapté au défrichage et à la plantation de vigne. Il a marqué profondément l'histoire du vignoble nantais.
Noël-Yves Tonnerre, Naissance de la Bretagne, Angers, Presse de l'université, 1994, p. 494 et sq.

"Dans le territoire sur lequel s'étendait la châtellenie du Pallet, Monnières, Vallet et Mouzillon, la culture de la vigne n'est donc pas antérieure au début du XIIe siècle. Ailleurs en Bretagne, à la même époque, il y avait déjà des vignes et dans des endroits où l'on n'en trouve plus depuis longtemps aujourd'hui."
Paul de Berthou, Clisson et ses monuments, supplément, Nantes, Durance 1913, page 2,
note.


Le "miles" Bérenger

Le père d'Abélard, Bérenger, est bien aussi un "miles", un chevalier, comme ceux auxquels s'adresse Conan III. Le "miles", le combattant à cheval, se distingue du "dominus", le seigneur de la châtellenie. Le chevalier a un lien de vassalité à l'égard du seigneur, il doit répondre à des obligations militaires. Mais ce vassal peut, selon les cas, vivre dans une familiarité constante avec son seigneur. Il peut aussi tirer ses revenus d'une propriété héréditaire. Tel est le cas de Bérenger.
Bérenger est de la génération précédente puisqu'il serait mort vers 1100 (?). Les chevaliers tenanciers du Pallet sont eux de la génération d'Abélard. D'ailleurs Abélard, abbé de St-Gildas, a été reçu à Nantes chez Conan III, comme il le dit dans "l'Histoire de mes malheurs".


La châtellenie du Pallet au XIIe

L'intervention du duc de Bretagne Conan III en qualité de comte de Nantes montre que la châtellenie du Pallet, au milieu du XIIe siècle, n'est plus sous la dépendance de l'évêque de Nantes  comme cela était le cas au moment de la constitution de cette châtellenie au début du XIè siècle. A cette époque, le Pallet faisait partie des "res ecclesiae", des biens d'Église mentionnés dans la charte de Louis le Gros. "On peut penser que le premier châtelain a été un vassal de l'évêque".
Noel-Yves Tonnerre, op. cit. p. 318

Le texte de cette charte est publié en latin et longuement commenté en allemand  par le docteur Werner Robl sur son site. Ses commentaires éclairent de façon nouvelle la situation féodale au Pallet au temps d'Abélard.
http://www.abaelard.de/

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