LETTRE  D'HÉLOÏSE

A  PIERRE  ABBÉ DE CLUNY  
 

A Pierre, son très révérend seigneur

et frère, abbé de Cluny; Héloïse,

humble servante de Dieu et la sienne;

l'esprit de la grâce du salut.

 

La miséricorde de Dieu, et avec elle la grâce de votre éminence, nous a visitées. Nous nous félicitons et nous nous glorifions, père excellent, de ce que votre grandeur ait daigné descendre jusqu'à notre petitesse. Votre visite est un grand honneur même pour les plus grands. Les autres savent combien la présence de votre sublimité leur a apporté d'avantages. Pour moi, il m'est impossible je ne dis pas d'exprimer par des mots, mais même de concevoir par la pensée tout le bienfait et toute la douceur de votre visite. Vous, notre abbé, notre seigneur, vous avez, le seizième jour des calendes de Décembre, célébré chez nous une messe pour nous recommander au Saint Esprit ; dans le chapitre, vous nous avez nourries de la parole divine. Vous nous avez rendu le corps du Maître et accordé le bénéfice de Cluny. Moi-même, moi qui ne suis pas digne de porter le nom de votre servante, votre sublime humilité n'a pas dédaigné de m'appeler, par écrit et de vive voix, du nom de soeur. Comme pour me donner un gage particulier de votre affection et de votre fidélité, vous m'avez donné un tricénaire (une trentaine de messes célébrées pour le repos de l'âme d'un défunt) que le couvent de Cluny doit acquitter après ma mort. Vous avez aussi ajouté que vous confirmeriez ce don par l'apposition de votre sceau. Ce que vous avez eu la bonté d'accorder à votre soeur ou plutôt à votre servante, mon frère, ou plutôt mon seigneur, veuillez l'accomplir. Envoyez‑moi, s'il vous plaît, un autre sceau dans lequel l'absolution du maître soit contenue en termes clairs ; je le ferai suspendre au-dessus de son tombeau. Souvenez-vous aussi de notre, de votre cher Astrolabe (fils d'Héloïse et d'Abélard). Aidez-le à obtenir une prébende de l'évêque de Paris ou de tout autre diocèse. Adieu. Que le Seigneur vous garde et nous accorde quelquefois votre présence.


Dans « Héloïse et Abélard lettres » Textes choisis, présentés et partiellement établis par Louis Stouff. 10 x 18, Union Générale d’Édition, Paris 1964.

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