DEUXIÈME  LETTRE DE 
PIERRE ABBÉ DE CLUNY

A HÉLOÏSE

 

A notre vénérable et très chère soeur, Héloïse, servante de Dieu, guide et maîtresse des servantes de Dieu; son humble frère, Pierre, abbé de Cluny; la plénitude du salut par le Seigneur, la plénitude de notre amour en Jésus‑Christ.

 

C'est avec une joie très vive que j'ai lu la lettre de votre sainteté. Elle m'a montré que ma visite chez vous n'avait pas été qu'un passage : non seulement j'ai été avec vous, mais depuis lors je ne vous ai point quittées. L'hospitalité que vous m’avez accordée, n'a pas laissé que le souvenir de l'hôte d'une nuit ; je n'ai été chez vous ni un étranger ni un pèlerin, mais j'ai eu mon droit de cité dans la demeure des saintes, ma place au foyer du Seigneur. Malgré sa brièveté, mon séjour s’est si bien fixé dans votre religieuse mémoire, a si fortement marqué vos coeurs bienveillants, que vous n'avez laissé tomber aucune de mes paroles ni celles que j'avais prononcées pour votre instruction, ni celles que j'avais dites sans y prêter une attention particulière. Vous avez tout retenu, la sincérité de votre affection a tout gravé dans votre esprit comme des mots puissants, célestes, sacrés, comme les paroles ou les actions mêmes du Christ. Peut-être cette attention extrême vous a-t-elle été inspirée par la recommandation de notre règle commune, la nôtre aussi bien que la vôtre, qui ordonne d'adorer le Christ dans nos hôtes car nous le recevons avec eux. Peut-être aussi avez-vous pensé à cette parole relative aux supérieurs, bien que je ne sois pas votre supérieur : «Celui qui vous écoute, m'écoute moi». Plaise au ciel que j'obtienne toujours auprès de vous la même faveur : avec le saint troupeau qui vous est confié, daignez vous souvenir de moi, daignez implorer pour moi la miséricorde du Tout-Puissant. De mon côté, je vous offre toute l'affection qui m'est possible; car, longtemps avant de vous avoir vue, et surtout depuis que je vous ai connue, je vous ai réservé dans l'intimité profonde de mon coeur une place particulière, la place d'une affection vraie et sincère. Le don d'un tricénaire que je vous ai fait, lors de ma visite, de loin, je vous le confirme, comme vous me l'avez demandé, par mon écrit et par mon sceau. Je vous envoie aussi, selon votre désir, l'absolution de Maître Pierre, dans une charte écrite et scellée de ma main. Quant à votre Astrolabe, qui est aussi le nôtre, c'est avec joie que je m'efforcerai de lui procurer une prébende dans l'une de nos plus fameuses églises. La chose est toutefois difficile, car, j'en ai fait l'expérience, lorsqu'il s'agit de donner des prébendes dans leurs églises, les évêques ne se montrent guère accommodants, ils ont toujours des objections à vous opposer. Je ferai pourtant tout ce que je pourrai dès que je le pourrai. Adieu.

 

ABSOLUTION DE MAÎTRE PIERRE ABÉLARD

 

Moi, Pierre, abbé de Cluny, qui ai reçu Pierre Abélard comme moine de Cluny et qui ai concédé son corps , transporté en secret, à Héloïse, abbesse du Paraclet et aux religieuses de ce monastère, par l'autorité de Dieu Tout-puissant et de tous les saints, je l'absous d'office de tous ses péchés.
 

Dans « Héloïse et Abélard lettres » Textes choisis, présentés et partiellement établis par Louis Stouff. 10 x 18, Union Générale d’Édition, Paris 1964.

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