Hugues MÉTEL

Chanoine de la cathédrale de Toul en Lorraine

Deuxième lettre à Héloïse

 

 

À Héloïse, abbesse de réputation sans pareille et nourrie au sein des Muses, Hugues Métel, homme autrefois, nain aujourd'hui, qu'elle se nourrisse désormais au langage de la vraie philosophie. Si j'étais paré d'ailes comme le vent, je m'empresserais auprès de vous, je vous parlerais et j'apprendrais. Puisque ce pouvoir tant désiré ne m'est pas accordé, reste la volonté de vous écrire en tous moments propices. Car mon âme désire, au moins dans l'échange épistolaire, voir et être vue, entendre et être entendue. Votre sagesse est en effet plus grande encore que n'a dit votre réputation. Elle dépasse de très loin celle des vierges sages. Et, si j'osais dire, ou plutôt puisqu'il faut le dire, votre plume dépasse celle des docteurs ou, pour préserver votre modestie et votre bien-être, elle l'égale au moins. Je sais bien que vous ne vous montez pas la tête, que vous ne quêtez pas les faveurs mortifères. Vous désirez seulement plaire à Dieu, car lui plaire, c'est vivre la vraie vie et lui déplaire est pire que la mort. Qu'il vous plaise ainsi de plaire à Dieu. Et comment faire ? En faisant que ce qui déplait à Dieu vous déplaise. Vos paroles sont douces à mon gosier. Et douces comment ? Plus douces que le miel et le rayon de miel. Plus douces que le miel et son rayon : elles sont le miroir de votre sagesse. Peut-être êtes-vous surprise par les mots de ma première lettre. Je vous ai écrit ceci: « Je m'appelle Hugues Métel, je suis né de Leucha Toul. » Ne soyez pas étonnée: la ville où je suis né s'appelle Leucha, et aussi Toul. Toul vient de Tullus, qui s'en empara sur l'ordre de César. Leucha en raison de la blancheur des hommes et du vin, parce que «leuchos» en grec signifie « blanc » : comme écrit Lucain, «Leuchus est le meilleur au coup de poing, Rémus aussi». Mais en voilà assez, car je crains de vous ennuyer par mon bavardage.

Que la grâce gratuite et bienveillante de Dieu vous bénisse,

Que la foule fidèle dise pieusement « Amen ».

Que Dieu vous donne le pain quotidien du ciel,

Qu'on n'implore pas en vain chaque jour.

Quoique nous ne le recevions pas chaque jour,

Chaque jour pourtant demandons-le pieusement.

La sainte Bible est une autre pâture sainte et digne

Qu'un sermon simple emprunté aux Écritures

Introduise en nous Celui que célèbrent l'hiver et l'été,

À qui plaît tout bien, lui que sert tout homme digne.

Cet autre pain nourrit le ventre vide :

Que celui qui nous donne les biens de ce monde l'introduise en nous.

 

Traduction Guy Lobrichon, in "Héloïse, l'amour et le savoir", Paris, Gallimard, 2005
 

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