Abélard et la philosophie

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Préliminaires

Pierre Abélard doit son importance philosophique au rôle qu'il joua lors de la querelle des Universaux
Le problème des Universaux fût en effet une des questions cruciales dont débattront les philosophes médiévaux.

  - 1 La source de sa pensée.
Il a lu  Aristote à travers Boèce (IVème siècle) et ne connait donc que la "logica vetus". Il connait aussi Saint Augustin et l'Isagogé" de Porphyre (234-310). Sa réflexion se fait dans le cadre du christianisme.

  - 2 Apport conceptuel.
Abélard est d'abord un logicien et il apporte une méthode nouvelle. Champion de la dialectique, il donne à la pensée occidentale son premier "Discours de la méthode", pratiquant, bien avant Descartes, le doute méthodique. Cette méthode suppose une réflexion sur le langage.

 La querelle des Universaux

La question des Universaux est celle de la nature des Idées. La question avait déjà opposé Platon et Aristote mais il faut rappeler qu'au Moyen-âge les textes de l'Antiquité sont en grandes parties perdus. A l'époque d'Abélard on ne connaît plus de Platon que le"Timée" et d'Aristote ce qu'on appelle aujourd'hui la vieille logique, "logica vetus". Abélard réfléchit à partir d'un certain corpus qui vient de Boèce (IV° siècle). Boèce a traduit "De l'interprétation" et "Des catégories". Il commente (sans les traduire) les autres livres de "l'Organon". Abélard ignore donc "les Analytiques". Il a lu l' "Isagogé" de Porphyre. Or Porphyre pose la question qui va être celle des Universaux : les concepts existent-ils ? Si oui, quelle est leur nature ? L'Universel est-il une "res" (une chose) ou une "vox" (un son, un mot). Ainsi les penseurs médiévaux s'interrogent sur une question qui a été débattue dans l'Antiquité mais ignorent les solutions antiques et reprennent donc le problème à zéro. Signalons de plus que cette réflexion sur les Universaux doit être pensée dans le contexte religieux de l'époque.

Que sont les Universaux ? Ce sont les concepts universels, les espèces (homme, chien etc.) et les genres (être vivant, animal etc.) par opposition aux choses singulières (ce chat qui est devant moi ou cet arbre que je vois derrière la fenêtre). Il y a une idée d'arbre qui me permet de dire que cet arbre là fait partie du genre « arbre » ou une idée de chat qui me permet de dire que mon chat Poussy fait parte de l'espèce des chats. Quelle est donc la nature de ces idées ? Existent-elles ou ne sont-elles que des produits de notre imagination. Porphyre, dans son "introduction aux Catégories" d'Aristote écrit : « Les espèces et les genres existent-ils dans la nature en tant que choses réelles ou n'existent ils qu'à titre de pensées dans notre esprit. S'ils existent hors de nous sont-ils corporels ou non corporels ? Existent-ils séparés des objets sensibles ou dans les objets mêmes ? »

Trois thèses vont s'opposer :

Le réalisme :
il soutient que seuls les Universaux existent en soi et les choses singulières leur sont subordonnées. L'avantage de cette thèse est qu'elle pose que les Universaux ont été conçus par l'entendement divin. C'est la position de Guillaume de Champeaux (1070-1121) qui fut le maître d'Abélard à Paris. Ce sera aussi la thèse d'Anselme de Cantorbéry (1033-1109).
                                                 Ordination comme évêque de Chalon de Guillaume de Champeaux

Selon le réalisme, à tous les hommes, par exemple, correspond une essence commune et les choses singulières ne diffèrent que par leurs accidents. L'essence de l'homme existe indépendamment de Pierre ou de Paul. Les Universaux existent à la fois indépendamment de la pensée mais même des choses. C'est la théorie de l'essence matérielle. Essence ici veut dire « substance ». L'essence commune aux choses est  comme une matière et les choses s'individualisent par des formes (accidents) à partir de cette matière commune.                                                                                                                                         

Abélard récuse le réalisme pour deux raisons :

1 - C'est contraire à la physique (c'est-à-dire à la nature des choses). Toute chose est singulière et donc toute essence est singulière. Imaginer que la matière soit commune c'est aller contre la singularité des choses

2 - Cette thèse engendre des contradictions. Ainsi, par exemple, l'animalité se particularise à la fois en humanité (être raisonnable) et en chevalité (être sans raison)

Le nominalisme :
cette thèse affirme que seuls existent les individus singuliers. Les Universaux n'existent que dans l'esprit humain. C'est la position de Roscelin de Compiègne (1050-1121). Selon Roscelin, l'universel n'est qu'un « bruit de voix », un son (universale est vox). Ce vocalisme extrême sera refusé par la plupart des auteurs, y compris Abélard. Abélard est plus un non réaliste qu'un nominaliste.
                                                                                                                    Roscelin de Compiègne

Le conceptualisme : c'est la position d'Abélard. Il n'existe que des choses singulières et l'universalité n'est que dans les mots (en ce sens Abélard n'est pas réaliste). Mais les Universaux ne sont pourtant pas rien. C'est bien un fait que Platon et Aristote sont des hommes. C'est un fait qui se fonde dans les idées divines. Les Universaux sont avant l'homme et les choses comme Idées et constituent le contenu de l'esprit divin. Les mots sont certes faits pour signifier mais ils sont fondés dans la réalité. Le langage n'est pas le voile du réel mais son expression. Le concept n'est pas arbitraire.

Abélard distingue "vox" (son naturel) et "sermo" (signification des mots auquel il reconnaît une universalité).

Il distingue la fonction dénominative de la fonction significative d'une expression. Ainsi, s'il n'existait pas de roses, certes je ne pourrais plus dénommer des roses mais la phrase « il n'y a plus de roses » aurait, elle, une signification.

Texte extrait de :

http://sos.philosophie.free.fr/abelard.php
 

Victor COUSIN - 1836
Victor Cousin est un philosophe, professeur à la Sorbonne et homme politique français né le 28 novembre 1792 à Paris et mort le 14 janvier1867 à Cannes. Il est considéré, en France, comme le fondateur de la tradition des études d'histoire de la philosophie et le réformateur de l'enseignement philosophique dans les lycées. Il a publié: "Ouvrages inédits d'Abélard pour servir l'histoire de la philosophie scholastique en France." 1836, Imprimerie royale.
                                                                                                                    Victor Cousin 1792-1867

"Au fond, Abélard est un nominaliste qui s'ignore ou qui se cache. Moins conséquent et moins hardi il ne révolte plus le sens commun et il regagna en bonne apparence ce qu'il perd en profondeur. Plus faible dans la doctrine, il est plus fort dans la polémique, il prête moins le flanc aux attaques du réalisme et le combat avec plus d'avantage. Quand Abélard descendit dans l' arène le nominalisme ne pouvait plus soutenir la lutte, et le réalisme était victorieux sur tous les points. Abélard renouvela la lutte. Il força le parti vainqueur de compter avec la parti vaincu; il maintint sous un autre nom les droits du nominalisme; il le sauva en  le tempérant; et d'un autre côté, sans le vouloir, en combattant le réalisme il l'épura. On ne peut donc nier qu'il n'ait par la servi d'une manière mémorable la cause de la philosophie et celle de l'esprit humain." Extrait p. 183-184

Dans l'ouvrage cité ci-dessus un étude de plus de cinquante pages (p. CXXX à CVXXXIV) :
Accéder à cet extrait (fichier pdf)

 

Maurice de GANDILLAC - 1945
Il publie en 1945, chez Aubier, éditions Montaigne, Bibliothèque philosophique.
Œuvres choisies d' ABELARD, textes présentés et traduits par Maurice de Gandillacc chargé de cours à l'université de Lille. "Logique première partie,- Ethique, Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien." Quand, en 1993, M. de Gandillac refera aux éditions du Cerf, collection "Sagesse chrétienne", un nouvelle édition des "œuvres choisies" de son précédent ouvrage, il ne reprendra pas la "Logique ingrédientibus", traduction qui ne se trouve donc que dans l'édition de 1945.

Revenons donc à cette première édition de 1945, image ci-contre. L'introduction de M. de Gandillac consacrera les pages 25 à 33 à présenter le problème des Universaux selon Abélard.
 "En réalité Abélard a commenté avec un soin égal les gloses de Boèce sur Porphyre, sur Cicéron et sur Aristote ...C'est par "l'Isagogè" de Porphyre qu'Abélard connaît la divergence essentielle entre Platon et Aristote sur la nature de l'idée générale... Dans toute cette discussion reprise en de nombreux textes mais qui se présente avec une particulière clarté aux premières pages de la "Logica ingredientibus" que nous traduisons en tête de ces "œuvres choisies".

C'est donc la traduction de cette "logique pour les débutants" qui constituera le premier texte philosophique d'Abélard traduit du latin en Français, qui occupera les pages 77 à 127 de ces "œuvres choisies" - Les deux autres textes traduits, "Ethique" et "Dialogue" sont à classer plutôt  en théologie morale.

 

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