Préliminaires Pierre
Abélard doit son importance philosophique au rôle qu'il joua lors de
la querelle des Universaux
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La source de sa pensée. La querelle des Universaux La question des Universaux est celle de la nature des Idées. La question avait déjà opposé Platon et Aristote mais il faut rappeler qu'au Moyen-âge les textes de l'Antiquité sont en grandes parties perdus. A l'époque d'Abélard on ne connaît plus de Platon que le"Timée" et d'Aristote ce qu'on appelle aujourd'hui la vieille logique, "logica vetus". Abélard réfléchit à partir d'un certain corpus qui vient de Boèce (IV° siècle). Boèce a traduit "De l'interprétation" et "Des catégories". Il commente (sans les traduire) les autres livres de "l'Organon". Abélard ignore donc "les Analytiques". Il a lu l' "Isagogé" de Porphyre. Or Porphyre pose la question qui va être celle des Universaux : les concepts existent-ils ? Si oui, quelle est leur nature ? L'Universel est-il une "res" (une chose) ou une "vox" (un son, un mot). Ainsi les penseurs médiévaux s'interrogent sur une question qui a été débattue dans l'Antiquité mais ignorent les solutions antiques et reprennent donc le problème à zéro. Signalons de plus que cette réflexion sur les Universaux doit être pensée dans le contexte religieux de l'époque. Que sont les Universaux ? Ce sont les concepts universels, les espèces (homme, chien etc.) et les genres (être vivant, animal etc.) par opposition aux choses singulières (ce chat qui est devant moi ou cet arbre que je vois derrière la fenêtre). Il y a une idée d'arbre qui me permet de dire que cet arbre là fait partie du genre « arbre » ou une idée de chat qui me permet de dire que mon chat Poussy fait parte de l'espèce des chats. Quelle est donc la nature de ces idées ? Existent-elles ou ne sont-elles que des produits de notre imagination. Porphyre, dans son "introduction aux Catégories" d'Aristote écrit : « Les espèces et les genres existent-ils dans la nature en tant que choses réelles ou n'existent ils qu'à titre de pensées dans notre esprit. S'ils existent hors de nous sont-ils corporels ou non corporels ? Existent-ils séparés des objets sensibles ou dans les objets mêmes ? » Trois thèses vont s'opposer :
Le réalisme :
Selon le réalisme, à tous les hommes, par exemple, correspond une essence commune et les choses singulières ne diffèrent que par leurs accidents. L'essence de l'homme existe indépendamment de Pierre ou de Paul. Les Universaux existent à la fois indépendamment de la pensée mais même des choses. C'est la théorie de l'essence matérielle. Essence ici veut dire « substance ». L'essence commune aux choses est comme une matière et les choses s'individualisent par des formes (accidents) à partir de cette matière commune. Abélard récuse le réalisme pour deux raisons : 1 - C'est contraire à la physique (c'est-à-dire à la nature des choses). Toute chose est singulière et donc toute essence est singulière. Imaginer que la matière soit commune c'est aller contre la singularité des choses 2 - Cette thèse engendre des contradictions. Ainsi, par exemple, l'animalité se particularise à la fois en humanité (être raisonnable) et en chevalité (être sans raison)
Le nominalisme :
Le conceptualisme : c'est la position d'Abélard. Il n'existe que des choses singulières et l'universalité n'est que dans les mots (en ce sens Abélard n'est pas réaliste). Mais les Universaux ne sont pourtant pas rien. C'est bien un fait que Platon et Aristote sont des hommes. C'est un fait qui se fonde dans les idées divines. Les Universaux sont avant l'homme et les choses comme Idées et constituent le contenu de l'esprit divin. Les mots sont certes faits pour signifier mais ils sont fondés dans la réalité. Le langage n'est pas le voile du réel mais son expression. Le concept n'est pas arbitraire. Abélard distingue "vox" (son naturel) et "sermo" (signification des mots auquel il reconnaît une universalité). Il distingue la fonction
dénominative de la fonction significative d'une expression. Ainsi, s'il
n'existait pas de roses, certes je ne pourrais plus dénommer des roses mais la
phrase « il n'y a plus de roses »
aurait,
elle, une signification. |
Victor COUSIN
- 1836 "Au fond, Abélard est un nominaliste qui s'ignore ou qui se cache. Moins conséquent et moins hardi il ne révolte plus le sens commun et il regagna en bonne apparence ce qu'il perd en profondeur. Plus faible dans la doctrine, il est plus fort dans la polémique, il prête moins le flanc aux attaques du réalisme et le combat avec plus d'avantage. Quand Abélard descendit dans l' arène le nominalisme ne pouvait plus soutenir la lutte, et le réalisme était victorieux sur tous les points. Abélard renouvela la lutte. Il força le parti vainqueur de compter avec la parti vaincu; il maintint sous un autre nom les droits du nominalisme; il le sauva en le tempérant; et d'un autre côté, sans le vouloir, en combattant le réalisme il l'épura. On ne peut donc nier qu'il n'ait par la servi d'une manière mémorable la cause de la philosophie et celle de l'esprit humain." Extrait p. 183-184 Dans l'ouvrage cité ci-dessus un étude de
plus de cinquante pages (p. CXXX à CVXXXIV) :
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Maurice de GANDILLAC - 1945 Revenons donc à cette
première édition de 1945, image ci-contre. L'introduction de M. de
Gandillac consacrera les
pages 25 à 33 à présenter le problème des Universaux selon Abélard. C'est donc la traduction de cette "logique pour les débutants" qui constituera le premier texte philosophique d'Abélard traduit du latin en Français, qui occupera les pages 77 à 127 de ces "œuvres choisies" - Les deux autres textes traduits, "Ethique" et "Dialogue" sont à classer plutôt en théologie morale.
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