Abélard
du Pallet 

 

 

 

Une salle est réservée à Pierre Abélard dans le "musée du vignoble" construit tout près de l'ancien donjon de l'oppidum, cet oppidum où Abélard est né.
Une très intéressante vidéo et un parcours historique illustré de nombreuses gravures et reproductions y retracent sa vie et celle d'Héloïse. Une vitrine contient quelques précieux fragments d'ossements qui proviennent de leur cercueil. Ces restes ont été prélevés en 1816 par Alexandre Lenoir, le constructeur du mausolée du Père-Lachaise.

 

 

Abélard et Héloïse
Manuscrit du Roman de la Rose , Chantilly, musée Condé

  • L'étudiant vagabond

Né au Pallet en Bretagne en 1079, Pierre Abélard est un philosophe à l'évidence parisien. Les terres du roi Louis VI le Gros, l'Île-de-France domaine du roi, seront toujours les lieux de prédilection de sa carrière. Délaissant le métier des armes qui était celui de son père, abandonnant son droit d'aînesse à ses frères, il quitte Le Pallet et sa famille pour adopter la vie vagabonde d'étudiant.

L'étape la plus marquante de son périple étudiant est certainement Loches qu'il a atteint en passant peut-être par les écoles cathédrales d'Angers et de Tours. A Loches, il a pour maître Roscelin de Compiègne autour des années 1093- 1099. Roscelin, né vers 1050, est connu pour avoir introduit le nominalisme en logique. Le seul écrit que l'on connaisse de Roscelin est une lettre qu'il adressera, beaucoup plus tard, en 1120 à Abélard pour le dénoncer violemment.

Perveni tandem Parisius. J'arrivai enfin à Paris !
Nous sommes en 1100. Abélard devient un très brillant élève, à Paris, à l'école cathédrale sous la férule de Guillaume de Champeaux, archidiacre de Paris et chanoine de Notre-Dame.  C'est un champion du réalisme.

Mais l'élève a l'ambition de devenir maître.

Carte postale 1er jour -
 9 juin 1979 Le Pallet

  • Le professeur parisien

Désormais professeur, il commence à regrouper autour de lui des élèves à Melun où il ouvre une école, puis se rapproche à Corbeil. Mais c'est véritablement à Paris qu'il ambitionne d'enseigner. Grâce à ses protecteurs royaux, il parvient à supplanter son propre maître GUILLAUME de Champeaux, à Paris même. Un moment, de nouveau éloigné à Melun, il revient à la charge et fonde, vers 1110 à l'extérieur des murs de Paris, sa propre école, sur la Montagne Sainte-Geneviève, lieu prédestiné, là où un siècle plus tard Robert de Sorbon installera l'université parisienne.
 

Le maître le plus célèbre de son temps

Le séjour à Laon auprès d'ANSELME vers 1113 n'est qu'un intermède, où il s'initie au commentaire des Écritures Saintes. Rapidement, l'élève en remontre au maître qui se fâche. Voilà de nouveau Abélard à Paris où la chaire tant désirée lui est cette fois offerte à l'école du cloître Notre-Dame. C'est l'aboutissement d'une grande ambition : 1114 - 1116. Ce sera rapidement la gloire internationale, la foule des élèves et l'argent … Ce sera aussi l'amour, à quarante ans, avec Héloïse et les malheurs que l'on connaît …


 
Abélard enseignant
  • Le Pallet oublié ?

Abélard a-t-il donc oublié Le Pallet, le bourg où il est né ? A-t-il adopté la France et renié la Bretagne, car Le Pallet n'est pas en France et ne dépend pas du roi Louis qui est à Paris ?

Abélard et la Bretagne

Abélard est bien né en Bretagne, la petite Bretagne opposée à la grande, in ingressu minoris Britannie, comme il écrira. La place forte du Pallet est bien une place forte bretonne qui dépend du comte de Nantes et qui défend la frontière. Tous les contemporains verront en Abélard un breton avec les qualités et les défauts qu'il est habituel de reconnaître aux bretons.

Pour ce qui est de la Bretagne "bretonnante", les sentiments d'Abélard sont bien connus. Après sa séparation d'avec Héloïse il aura, pendant plusieurs années, la charge d'abbé du monastère de Saint-Gildas-de-Rhuys dans le Morbihan. Abélard qui ignore la langue que parlent ses moines, connaîtra avec eux un conflit permanent "Les moines, écrit-il, étaient réputés pour leur inconduite et leur indiscipline. La population passait pour brutale et grossière." Il se considérera toujours comme exilé au bout du monde. La beauté romantique de la lande bretonne et le mugissement de la mer à l'extrémité de la presqu'île de Rhuys ne lui inspireront que des plaintes et des pleurs. Il gémira avec le psaume :

Abbatiale St-Gildas-de-Rhuys

"Des confins de la terre je crie vers vous Seigneur, dans l'angoisse de mon cœur".

  • Le Pallet, la terre natale.

Tout au contraire, "l'oppidum", la petite place fortifiée du Pallet restera chère à Abélard. Dans son autobiographie, "la lettre à un ami", souvent sous-titrée : "Histoire de mes malheurs", Abélard se réfère à cinq reprises à la patrie qui l'a vu naître.

L'oppidum du Pallet -La chapelle Ste-Anne

  • La naissance au Pallet
    Je suis né dans une place fortifiée située à l'entrée de la Bretagne, éloignée d'environ huit milles, je crois, à l'est de la ville de Nantes et qu'on appelle communément Palatium (Le Pallet).
     

  • La maladie du jeune professeur

                    Après la première controverse avec GUILLAUME il écrit vers 1102 :

Non multo autem interjecto tempore, ex immoderata studii afflictione correptus infirmitate coactus sum repatriare et per annos aliquot a Francia remotus, querebar ardentius  ab his quo dialectica sollicitabat doctrina.

"Peu de temps après, l'excès de travail intellectuel me fit contracter une grave maladie dépressive et je fus obligé de rejoindre mon pays natal. Ainsi, pendant quelques années, éloigné de France, j'étais vivement regretté de tous ceux qui s'intéressaient à la dialectique.                                                                                                                                  "Abélard par Robert Lefèvre - 1795
                                                                                                                                              

  • Les parents d'Abélard embrassent la vie religieuse

Une fois installé sur la Montagne Sainte-Geneviève, il écrit de nouveau vers 1105-1108 :

Dum vero hec agerentur, karissima mihi mater mea Lucia repatriare me contulit; que videlicet post conversionem Berengarii patris mei ad professionem monasticam, idem facere disponebat.

"Sur ces entrefaites, Lucie, ma mère chérie, me pressa de revenir au pays natal. Bérenger, mon père, avait pris l'habit monastique et elle se préparait à imiter son exemple. Après la cérémonie, je revins en France."

  • Héloïse vient accoucher en secret au Pallet, 1117

 
Héloïse par Robert Lefèvre - 1819
Quadam itaque nocte, avunculo ejus absente, sicut nos condixeramus, eam de domo avunculi furtim sustuli et in patriam meam sine mora transmisi ; apud sororem meam tam diu conversata est donec pareret masculum quem Astrabalium nominavit.

"Une nuit, pendant l'absence de Fulbert, ainsi que nous en étions convenus, je l'enlevai furtivement de la maison de son oncle et je la fis passer sans délai
dans ma patrie, où elle resta chez ma sœur jusqu'au jour où elle donna naissance à un fils qu'elle nomma Astrolabe."

Et Abélard retourne à Paris pour calmer la colère de Fulbert en promettant le mariage. Il obtient, non sans peine, son accord.
(On peut aussi penser qu'Abélard, après l'enlèvement, resta à Paris et n'accompagna pas Héloïse au Pallet.)

  • Nouveau voyage d'Abélard au Pallet. Le mariage 1118

Illico ad patriam meam reversus amicam reduxi ut uxorem facerem, illa tamem hoc minime approbante, immo penitus duabus de causis dissuadente, tam scilicet pro periculo quam pro dedecore meo ... Nato itaque parvulo nostro, sorori mei commendato, Parisius occulte revertimur; et post paucos dies, nocte secretis orationum vigiliis in quadam ecclesia celebratis, ibidem, summo mane, avunculo ejus  atque quibusdam nostris vel ipsius amicis assistentibus, nuptiali benedictione confederamur.


"Je retournai aussitôt
dans ma patrie d'où j'en ramenai mon amante pour en faire ma femme. Celle-ci, bien loin d'approuver mon projet essaya au contraire de m'en dissuader. … Cependant … Nous recommandons à ma sœur notre jeune fils et nous revenons secrètement à Paris. Quelques jours plus tard, après avoir passé une nuit à célébrer vigiles dans une église, à l'aube du matin, nous reçûmes la bénédiction nuptiale en présence de l'oncle d'Héloïse et de plusieurs de ses amis et des nôtres.

  •  Le philosophe palatin

Le Pallet est donc pour Abélard, au moins jusqu'à son mariage, le refuge familial dans les jours d'adversité. C'est, comme il le dit en latin, "mea patria", mon pays natal. Il reconnaît également, dès les premières lignes de ses mémoires, qu'il doit beaucoup à sa famille et au sol qui l'a vu naître. La phrase est célèbre. Elle est souvent citée et commentée. La voici :

Ego igitur, oppido quodam oriundus quod in ingressu minoris britannie constructum, ab urbe Namnetica versus orientem octo credo miliariis remotum, proprio vocabulo Palatium appellatur, sicut natura terre mee vel generis animo levis, ita et ingenio extiti et ad litteratoriam diciplinam facilis. J. Monfrin, Historia  calamitatum,  Vrin, Paris, 1978


" Quant à moi, je suis originaire d'une place forte construite à l'entrée de la Bretagne, à huit milles, je crois, à l'est de Nantes. Son nom précis est Palais. S'il est vrai que je dois naturellement à ma terre natale comme à mes ancêtres d'avoir fait preuve d'un caractère vif, je leur dois aussi  d'avoir montré une intelligence capable d'aller vers les disciplines littéraires avec beaucoup de facilité."


Litho de J. Bruneau - 1979
Abélard du Pallet
 

Abélard estime donc tenir de son sol natal et de sa race, qu'il confond dans un même regard, deux aspects complémentaires de sa personnalité profonde :
1 - D'abord Abélard se reconnaît une vivacité de caractère, une grandeur d'âme qui n'étonne pas chez un fils de chevalier. Michael Clanchy a pu voir aussi dans cet "animo levis", traduit par léger, le sens poétique d'un troubadour proche de la culture poitevine d'un Guillaume IX d'Aquitaine.
Clanchy Michael, Abélard, Paris Flammarion 2000, p. 174
2 - En second lieu, Abélard a manifesté, à l'évidence, des qualités intellectuelles tout à fait exceptionnelles pour aborder les disciplines littéraires.

En affichant cette dette dès la première page de son "Historia calamitatum",  Abélard rend un bel hommage au "Palatium" du XIIe siècle dont le donjon imposant abrite son lignage.

S'il fallait une confirmation pour ces liens maintenus entre Le Pallet et Abélard, il suffirait de recourir au témoignage de ses contemporains, tel Jean de Salisbury, ou de parcourir les manuscrits qui nous ont transmis ses œuvres. Les contemporains tout comme les copistes du Moyen Âge désigneront Abélard par une expression qui rappelle son origine. Pour eux, le maître prestigieux, philosophe et théologien à la fois, sera le "peripatéticus palatinus" c'est à dire le philosophe du Pallet.

 

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© Association P. Abélard 1999