Astrolabe, clerc, moine, peut-être abbé
Astrolabe naît au Pallet
Astrolabe voit le jour, comme son père Abélard, au Pallet, vers 1118, vraisemblablement à l'étage du donjon dont les ruines imposantes intriguent encore les passants.
"Peu après, la jeune fille sentit qu'elle était mère, et elle me l'écrivit aussitôt avec des transports d'allégresse, me consultant sur ce qu'elle devait faire. Une nuit, pendant l'absence de son oncle, je l'enlevai, ainsi que nous en étions convenus, et je la fis immédiatement passer en Bretagne, où elle resta chez ma soeur jusqu'au jour où elle donna naissance à un fils qu'elle nomma Astrolabe."Abélard, Historia Calamitatum
C'est Héloïse, elle-même, qui a choisi le nom d'Astrolabe : "celui qui atteint les astres". Ce nom bizarre et sans référence chrétienne a provoqué des interrogations. Mrs Brenda Cook, généalogiste, membre de la Société des Généalogistes et de l'Institut des recherches historiques de l'Université de Londres, dans son étude de juin 1999 "One astralabe or two , the mystery of Abelard's son", avance, à la suite de W. G. East, une autre explication pour le choix de ce nom. On voit mal, dit-elle, au XIIe siècle des parents choisir un nom aussi peu orthodoxe. Astralabe pourrait donc être un anagramme indiquant la paternité réelle de l'enfant. PETRUS ABAELARDUS II pourrait donner ASTRABALIUS PUER DEI. Il faudrait alors dire comme en latin : Astralabe. En français la pratique s'est instituée de dire Astrolabe.
Téléchargez -Pdf - le texte anglais complet de Brenda M. Cook.
"One Astralabe or two, The mystery of Abelards' son "
Héloïse et Astrolabe au Pallet
Jean GigouxUne éducation littéraire
Le chevalier est plutôt un homme qui met sa confiance dans sa force physique et dans son habileté à manier les armes pour combattre au côté de son seigneur, pour s'adonner à la rapine ou pour défendre la veuve et l'orphelin.
Pourtant c'est une belle et peu commune tradition, une passion même, dans la famille de ces chevaliers du Pallet de donner une éducation aux enfants. Pour le grand-père Bérenger le métiers des armes ne l'empêchera pas de savoir lire et écrire. il avait "quelque teinture des lettres" dira Abélard.
"Mon père, avant de ceindre le baudrier du soldat, avait quelque teinture des lettres ; et, plus tard, il se prit pour elles d'une telle passion, qu'il voulut que tous ses fils fussent instruits des lettres avant de l'être du métier des armes". Abélard, Historia calamitatum
"L'instruction des laïcs est difficile a apprécier... il faut être très prudent ...l'aristocratie du comté nantais reste imperméable à une la culture intellectuelle en cette fin du XIe siècle. Le cas du père d'Abélard capable d'instruire ses enfants est un fait exceptionnel."
Noël-Yves Tonnerre, "le comté nantais à la fin du XIe siècle", in "Abélard en son temps", colloque international mai 1979, Paris, Belles Lettres, 1981
On connaît le choix d'Abélard : Bien qu'étant l'aîné, Il renonce totalement au métier militaire pour une carrière intellectuelle. Héloïse, quant à elle, sait le latin et le grec. Astrolabe apprendra donc à lire et écrire le latin. Comme pour tous les jeunes de son temps le latin n'est pas sa langue maternelle mais c'est dans cette seule langue que l'on peut s'instruire. La carrière de la cléricature lui sera alors ouverte.
astrolabe XIIe - XIIIe siècle - |
Le mot "astrolabe",
décalqué du grec : "astre" et "prendre", désigne communément un
instrument destiné à prendre la hauteur des astres sur
l'horizon. Cet instrument d'astronomie existe depuis l'antiquité
et aurait été inventé par Hipparque (IIe siècle avant J.C.).
Ptolémée l'étudia trois siècles plus tard. Les arabes l'ont
beaucoup utilisé dans un but d'astrologie. C'est cela que
pouvait en connaître Héloïse. |
Astrolabe arabe de 1208
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La Jeunesse
d'Astrolabe |
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La
réponse embarrassée de
l'abbé de Cluny, qui se sent impuissant
devant les réticences des
évêques, prouve néanmoins
qu'Astrolabe est bien un homme d'Église,
un clerc. |
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Qu'est devenu Astrolabe ? |
Chanoine de Nantes : le cartulaire de Buzay en témoigne
Saint Bernard et Ermengarde fondent l'abbaye de Buzay.
"C'est en 1135, lors du passage de saint Bernard à Nantes que la première abbaye cistercienne, Buzay, fut fondée. L'initiative de cette fondation revient à la duchesse Ermengarde (mère de Conan III) qui faute d'avoir pu embrasser la vie monastique voulut compenser l'inexécution de ses voeux par une fondation religieuse. Les débuts de Buzay furent difficiles. L'environnement du nouvel établissement était ingrat, le duc Conan III tardait à tenir les engagements qu'il avait souscrit avec sa mère. Huit ans après la fondation les moines en étaient réduits à vivre dans une condition proche de l'érémitisme. Ermengarde intervint auprès de son fils et une charte de fondation fut établie en 1144. Cette fois les engagements devaient être tenus."
Noel-Yves Tonnerre, Naissance de la Bretagne, Presse de l'université, Angers, 1994, p. 421Cartulaire de Buzay 1153/1157
Le chanoine Astrolabe loue une vigne
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Abbaye de Buzay - Loire atlantique |
Le jugement
du tribunal ecclésiastique de l'évêque de Nantes,
Bernard
d'Escoublac 1147-1169, est favorable aux moines
... Mais l'évêque n'est-il pas lui-même un ancien moine
cistercien ? Il est attaché à la réforme grégorienne et
défenseur des biens de l'Église. Le
chanoine Porcarius, qui est mort au moment de ce jugement, a
dû se faire moine à l'abbaye de Buzay à la fin de sa vie,
mais tout au début de la fondation du monastère. |
Note : J. L. Sarrazin : Recueil et catalogue de l'abbaye cistercienne de Buzay en pays de Rais, 1135-1474, 1976, thèse non publiée. indique que les moulins de Constance (ou de Coutaut) sont sis à Nantes. Cf Guépin A. Histoire de Nantes, 1839, p. 135,305, 315. |
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Victor
Cousin à Hauterive en 1837 |
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Cathédrale de Nantes XVe |
Le chapitre de Nantes est-il la dernière étape de la carrière ecclésiastique d'Astrolabe ? Il se pourrait bien que non. Le chanoine de Nantes aurait donc suivi, comme son oncle Porchaire, l'austère voie monastique. Il serait entré d'abord dans un monastère bourguignon, l'abbaye cistercienne de Cherlieu, près de Langres, vers 1158; puis aurait été élu ou nommé abbé de Hauterive en 1162, en devenant ainsi le quatrième abbé. Dans l'étude déjà citée, Mrs Brenda Cook retrouve, en Suisse, un Astrolabe, abbé de l'abbaye cistercienne de Hauterive, dans le canton de Fribourg. |
On
découvre, en effet, le nom d'Astrolabe dans trois sources
différentes : 1) Une charte qui ne porte pas de date mais que le
dernier éditeur peut dater de 1162 2) la liste des abbés de 1302
et 3) le nécrologe de 1680. Mais Astrolabe, malgré les indications
de ce nécrologe, n'a certainement pas fait partie des
douze moines fondateurs de Hauterive venus de l'abbaye bourguignonne
de Cherlieu en 1138. Le chapitre de Nantes le compte toujours parmi
ses membres au moins jusqu'en 1150. |
A Nantes deux factions voient le jour : ceux qui soutiennent la vieille maison de Cornouaille, c'est à dire Hoël et plus tard son neveu Conan IV, et ceux qui soutiennent Geoffroy l'angevin et plus tard Henri Plantagenêt. La famille d'Abélard est de toute évidence du côté de la maison de Cornouaille. A l'été 1158, survient la mort suspecte de Geoffroy l'angevin, victime d'un complot destiné à l'évincer pour restaurer le pouvoir de Conan IV, duc de Bretagne, comme comte de Nantes. Il se peut qu'Astrolabe ait été mêlé à cette affaire et qu'il se soit trouvé dans le camp des perdants. Ce pourrait être la raison de son départ précipité vers le monastère cistercien de Cherlieu pour y trouver asile. |
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Le choix de ce monastère cistercien n'est pas sans raison.
Il faut dire d'abord, que malgré les violentes querelles
théologiques entre Bernard de Clairvaux et Abélard, les
points communs concernant la vie monastique ne manquaient
pas. Le frère d'Abélard, Porchaire, a été moine à l'abbaye
cistercienne de Buzay. Au Paraclet également, l'influence cistercienne sur la règle
mise en place par Héloïse est évidente, parfois même à
l'encontre des conseils prodigués par Abélard. L'idéal
cistercien est donc vivant au sein de la famille d'Abélard. |
Hauterive Une solide tradition à Hauterive, rapportée en 1846 par le docteur Sinner, ministre de la culture, affirme en substance que "Bernard de Clairvaux sauva Astrolabe de ses ennemis, en fit un moine, le plaça à Cherlieu et de là l'envoya ensuite en Suisse". Il ne peut s'agir de Bernard de Clairvaux lui-même décédé en 1153, mais sans doute de Bernard d'Escoublac, évêque de Nantes, ancien moine cistercien et chanoine au chapitre de la cathédrale en même temps que Porchaire. Voir la bulle d'Innocent II à Brice en 1137. |
C'est le
nécrologe de Hauterive, déjà cité, qui nous donne la date
1162 pour la consécration d'Astrolabe comme abbé de
Hauterive, cette filiale de Cherlieu : 1162, c'est à dire entre le 11 novembre 1162,
date de la mort de l'abbé Pons son prédécesseur et mars
1163, date officielle de la fin de l'année. Astrolabe en
devenait ainsi le quatrième abbé après Gérard, premier
abbé, et Richard puis Pons. |
Cloître de l'abbaye de Hauterive, canton de Fribourg, Suisse |
Aujourd'hui encore, les moines de Hauterive célèbrent la commémoration de la mort de leur quatrième abbé, Astrolabe, le 5 août. Pour le couvent du Paraclet, l'obituaire portera au 30 octobre : Petrus Astralabius, magistri nostri filius. Cette différence de date ne pose pas de vrai problème car ces dates ne sont pas nécessairement celles de la mort, mais celles où l'on prie pour le défunt. Ce décalage peut provenir du temps qu'il faut pour que la nouvelle parvienne à la communauté.
Filius est sapiens benedictio multa
parentum Mrs Brenda Cook conclura son étude en affirmant qu'Astrolabe loin d'être un pâle reflet de son père a été une personnalité forte, vraiment un second Abélard. |
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