ABÉLARD AU CONCILE DE SENS

 

La ville de Sens
Sur les bords de l'Yonne, la ville de Sens n'est pas éloignée des villes où Abélard a enseigné. Melun est 70 kilomètres, Provins seulement à 50 Kms et le Paraclet à peine à 60 Kms. Paris est à 115 KMs. C'est toujours l'Île de France des capétiens. Elle garde de son passé moyenâgeux le tracé en amande de ses fossés. Comme à Soissons, nous ne retrouverons pas d'édifice contemporains d'Abélard. Les vieilles cathédrales romanes auront été démolies et remplacées au même endroit par des constructions gothiques quelques années seulement après les événements qui nous occupent. La rue Abélard, dans le centre ville, est là cependant pour nous inviter à faire mémoire du fameux concile.



Plan de la ville de Sens

Cathédrale Saint-Étienne de Sens

La première des cathédrales gothiques

Vers 1135, l'archevêque Henri Sanglier décide de remplacer la cathédrale du Xe siècle par un édifice grandiose et digne de l'importante métropole sénonaise. Au moment où s'élèvent partout des constructions romanes, Henri Sanglier appelle un architecte novateur qui va proposer une conception révolutionnaire du voûtement, la croisée d'ogives. Plus encore que Saint-Denis, Sens allait être le premier chef d'oeuvre de l'art gothique français.
Naît alors une cathédrale ample, d'un volume simple et continu, constituée d'un vaisseau central et de deux collatéraux. Le chantier ne s'achèvera à la façade occidentale qu'à la fin du XIIe siècle.

"C'est là au milieu des échafaudages, dans cette cathédrale en pleine transformation où voisinaient les anciennes formes romanes et l'élan de la création nouvelle que s'est joué le dernier acte de l'existence tourmentée de Pierre Abélard."
Jacques Verger l'amour castré,  p. 161

La date du concile de Sens

Il existe une incertitude sur la date de ce concile : 2-3 juin 1140 ou bien les 25-26 mai 1141. En effet le concile a eu lieu à l'occasion de l'ostension des reliques, le jour octave de la Pentecôte. Les auteurs de l'introduction de la patrologie latine notent 1140. Charles Rémusat, Régine Pernoud, Jean Jolivet, Mickael Clanchy suivent cette datation ainsi que Pierre Aubé dans son "Saint Bernard", parlant de "la date le plus souvent admise". L'abbé Vacandard en 1881 avait adopté 1141, mais en 1891 il change d'avis et conteste les arguments de Deutsch. C'est la date de 1141 qui est retenue par Constant Mews et W. Robl. D'autres spécialistes hésitent à trancher comme Maurice de Gandillac,  Jacques Verger. La date de mai 1141 laisse plus de temps au déroulement du conflit et donne un délai plus long au pape pour produire son rescrit de condamnation. En revanche elle raccourcit le temps passé par Abélard avant son décès, chez Pierre le Vénérable : huit à neuf mois seulement. Voir Werner Robl :
 http://www.abaelard.de/abaelard/030029sens.htm

Le département de l'Yonne

Les préliminaires du conflit

C'est une lettre de Guillaume de Saint-Thierry à Bernard de Clairvaux et Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres et légat du pape Innocent II, qui va faire démarrer la procédure. Guillaume 1075-1148, né à Liège est un moine et un intellectuel de haut niveau. D'abord abbé de Saint-Thierry à Reims, il a probablement assisté au procès fait à Abélard en 1121 à Soissons, puisqu'il certifia un document avec Conon de Preneste à cette même date. Il quitte son abbaye pour se faire moine cistercien à Signy par amitié pour Bernard. Il a écrit sur les mêmes sujets qu'Abélard et sa lettre de dénonciation (lettre 326), Disputacio adversus Petrum Abaelardum qui relève avec clarté, il faut le reconnaître, les sujets de contentieux, jette de l'huile sur le feu bien que Guillaume se prétende ancien ami d'Abélard."Moi aussi je l'ai aimé ".
Abélard demande alors à Henri Sanglier Archevêque de Sens de réunir une assemblée de théologiens et d'évêques devant lesquels il pourra se justifier.


La nef de Sens
Les 13 capitula que Guillaume a relevés dans "l'introduction à la théologie"
     
1 Quod fidem definitit aestimationem rerum quae non videntur Il définit la foi comme l'estimation des choses que l'on ne voit pas
2 Qod impropria dicit esse in deo nomina Patri et filii et sprritus sanctisede descriptionem hanc plenitudinis summi boni Il dit que les noms de Père, Fils et Saint Esprit sont impropres en Dieu et ne servent qu'à rendre la plénitude du souverain bien
3 Quod pater sit plena potentia, filius quaedam potentia, Spiritus sanctus nulla potentia  Le Père est la toute-puissance, le Fils une certaine puissance, et le Saint-Esprit n'est point une puissance.
4 De Spiritu Sancto quod non sit ex substantia Patris et Filii, sicut Filius est ex substantia Patri Le Saint-Esprit n'est pas consubstantiel au Père et au Fils comme le Fils l'est au Père.
5 Quod Spiritus Sanctus sit anima mundi Le Saint-Esprit est l'âme du monde
6 Quod libero arbitrio, sine adjuvante gratia, bene possumus et velle et agere  Nous pouvons vouloir le bien et le faire par les seules forces du libre arbitre sans le secours de la grâce
7 Quod Christus non ideo assumpsit carnem et passus est,ut nos a jure diaboli liberaret Ce n'est pas pour nous délivrer de la servitude du démon que le Christ s'est incarné et qu'il a souffert la mort.
8 Quod Christus Deus et homo non est tertia persona in Trinitate Jésus-Christ, Dieu et homme, n'est pas une des trois personnes de la sainte Trinité.
9 Quod in sacramento altaris in aere remaneat forma prioris substantae Au sacrement de l'autel, la forme de la substance antérieure demeure dans l'air.
10 Quos suggestiones diabolicas per physicam dicit fieri in hominibus  Le démon inspire ses suggestions aux hommes par des moyens physiques.
11 Quod ab Adam non trahimus originalis peccati culpam sed poenam Ce que nous tirons d'Adam ce n'est pas la coulpe, mais la peine du péché originel.
12 Quod nullum sit peccatum, nisi consensu peccati et contemptu Dei  Il n'y a péché que dans le consentement au péché et le mépris de Dieu.
13 Quod dicit concupiscentia et delectatione et ignorantia nullum peccatum committi; et hujusmodi non esse peccatum sed naturam On ne commet aucun péché par la concupiscence, la délectation ou l'ignorance; il n'y a pas de péché en cela, mais seulement un fait naturel.

L'attitude de Bernard
Quand Bernard se saisit du dossier, les critiques contre Abélard prennent alors  une nouvelle dimension. Le dossier s'épaissit de nouveaux capitula.
Tractatus contra quaedam capitula errorum Petri Abaelardi  ( Lettre 190 à Innocent II).
Bernard témoigne d'une fougue, d'un style plus vigoureux que celui de Guillaume. L'émotion le gagne, mais son acuité théologique et philosophique est bien moindre que celle de Guillaume. Dans ses nombreuses lettres il se laissera  aller à la violence verbale, il qualifie la théologie de "stultologie" et répétera à l'envie qu'Abélard est un nouvel Arius, un nouveau Nestorius, un nouveau Pélage. Trop c'est trop ! En réalité un mur d'incompréhension sépare Bernard le mystique tourné vers la "fruition" de Dieu, qui récuse une tentative orgueilleuse et sacrilège et le péripatéticien du Pallet armé du trivium et de sa dialectique, qui cherche le sens des mots. Si ce dernier a osé souvent une formulation nouvelle, parfois aventureuse, de la foi chrétienne, ce n'était pas le fait d'un esprit médiocre.

Les acteurs laïcs de ce conflit

L'ostension des reliques à Sens le 25 mai 1141, le dimanche octave de la Pentecôte, va amener un grand concours de peuple, car le culte des reliques est très populaire au Moyen Âge. Le jeune roi Louis VII, 1120-1180 est présent. Il n'est sur le trône que depuis 1137;  son épouse Aliénor d'Aquitaine à dix-neuf ans. Le comte Thibaud  II de Champagne, le Grand, 1093-1152, est là aussi. Ce n'est pas un inconnu pour Abélard qui, vingt ans plus tôt, fuyant le royaume de France, a bénéficié de sa protection a deux reprises, à Maisoncelles et à Provins, au temps de ses démêlés avec les moines de Saint-Denis. Thibaud vient de se réconcilier, pour un temps, avec le roi de France. Le pieux Guillaume, comte de Nevers, futur chartreux, (voir lettre 337) est aussi dans l'assistance.


Aliénor d'Aquitaine
La souricière

Il ne peut être question ici de rentrer dans le détail des péripéties de ce concile - qui n'est en fait qu'un synode local - ni dans la discussion des différents chefs d'accusation. Mais ce n'est pas sans raison que Pierre Aubé, biographe de saint Bernard, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, Fayard, 2003, intitule ce chapitre sur le concile de Sens, "la souricière". Il parlera aussi de "stratagème honteux". Jacques Verger, biographe d'Abélard, l'amour castré, Paris, Hermann, 1996, dira "traquenard". Abélard va être pris au piège que lui a tendu Bernard.

Nous connaissons les faits par "la vita" de Bernard écrite par Geoffroy d'Auxerre, par l'apologie de Bérenger  pour la défense d'Abélard et par la chronique d'Othon de Frisingen;  enfin par les nombreuses lettres de Bernard :  en plus des lettres 189 et 190 à Innocent II, cette autre lettre au pape rédigée au nom de Samson l'archevêque de Reims (191), puis celle à un jeune cardinal-prêtre (335), à l'abbé d'un monastère italien (336), au cardinal Aimeric chancelier de l'Eglise (338), à un ancien moine de Clairvaux, Etienne, cardinal évêque de Préneste (331), à Guy de Pise (334), cardinal diacre de Saints-Côme-et-Damien, à Yves,(193) cardinal-prêtre du titre de Saint-Laurent, à Grégoire Tarquini,(332) cardinal-diacre au titre de Saint-Serge-et-Bacchus, au cardinal Guy de Castello (192). Bernard, on le voit, n'a pas ménagé ses efforts, ni avant, ni après la réunion de Sens, pour mettre de son côté la curie romaine, répétant à l'envie les mêmes arguments. Avec énergie et partialité, Bernard sonne le tocsin pour la défense de la doctrine traditionnelle contre les "nouveautés" introduites par Abélard.

Une réunion nocturne

Alors que la confrontation publique souhaitée par Abélard devait avoir lieu le lendemain du dimanche de l'ostension des reliques, Bernard organise le soir même, le 25 mai 1141, une réunion secrète des évêques pour leur exposer les erreurs qu'il souhaite voir condamner. On y lit les capitula incriminés et on les condamne sans la présence d'Abélard. Même s'il faut prendre avec quelques précautions avec le récit polémique de  Bérenger qui dénonce ce complot, on voit bien que Bernard a décidé de transformer la joute dialectique qu'il craint d'affronter en un procès dont l'issue est déjà jouée d'avance.

Le concile du mardi 26 mai 1141

La réunion publique du lendemain n'est plus qu'une formalité. Sans doute, les amis d'Abélard sont là, avec les gens des écoles parisiennes, Gilbert de la Porée, maître fameux et futur évêque de Poitiers en 1148. Sans doute, parmi le collège des évêques, Henri Sanglier, évêque de Sens, Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres ont autrefois soutenu Abélard. Un seul défenseur d'Abélard se manifeste, le sous-diacre romain Hyacinthe Boboni, prieur des sous-diacres du Latran, brillant clerc de la curie romaine, peut-être ancien élève d'Abélard - il deviendra pape plus tard sous le nom de Celestin III -1191-1198.
 Mais il est trop tard. Il  n'y aura pas de débat. C'est Bernard qui prend la parole et l'on commence par la lecture des points de doctrine condamnés la veille par les évêques. Bernard demande à Abélard de se rétracter. Abélard surpris, reste silencieux. Selon Geoffroy d'Auxerre la faculté lui aurait été concédée soit de nier que ces "capitula" fussent dans ses ouvrages soit d'accepter d'amender sa théologie. Mais Il refuse de prendre la parole pour se disculper.
Coup de théâtre : Il fait appel à Rome.


Innocent II  1130-1143 -
mosaîque se Santa Maria in Trastevere
Corpus étampois

On épiloguera longtemps sur les raisons de ce silence : choc psychologique, faiblesse physique, maladie soudaine ou simplement stratégie de défense. En refusant le verdict de Sens pour faire appel au pape Innocent II, Abélard retarde une sanction dont la sévérité ne faisait aucun doute. Si le délit d'hérésie était retenu contre lui, l'enfermement à vie dans un monastère et la réduction au silence  l'attendaient immédiatement.
Abélard se met en route pour Rome. Mais c'est un vieillard de soixante-deux ans, sans doute déjà malade, qui entreprend ce long voyage. Il s'arrêtera à Cluny accueilli par Pierre le Vénérable et n'ira pas plus loin.

La condamnation confirmée par Innocent II
Les émissaires de Bernard ont été plus rapides. Le 18 juillet 1141, le pape publie son rescrit qui, sans les énumérer, condamne "les propositions dont vous nous avez adressé la liste, et en général tous les dogmes impies de Pierre Abélard ".

Les articles d'Abélard condamnés à Sens
Il n'existe aucune liste absolument officielle, car aucune n'a été conservée. Le DTC de Vacant et Mangenot fournit une liste de 19 propositions reprises dans l'enchiridion de Dentzinger. Saint Bernard dans ses capitula donne 14 chapitres comportant de longs extraits d'Abélard. On a quelque peine à s'y retrouver. Les articles 3,11,15-19 ont été retranchés avant la sentence romaine. Il sont ci-dessous en italique.

Guillaume de Saint-Thierry

LISTE DES PROPOSITIONS  CONDAMNÉES
AU
CONCILE DE SENS

1. Le Père est la Puissance complète, le Fils une certaine puissance, le Saint‑Esprit n'est aucune puissance.
2. Le Saint‑Esprit n'est pas de la substance du Père et du Fils. 

3. Le Saint‑Esprit est l'âme du monde. 

4. Le Christ ne s'est pas incarné pour nous délivrer du joug du démon.
5. Ni le Christ, Dieu et homme, ni cette personne qui est le Christ, n'est une des trois Personnes de la Sainte Trinité.
6. Le libre arbitre par ses propres forces suffit à opérer quelque bien. 
7. Dieu ne peut accomplir ou omettre que ce qu'il accomplit ou omet et encore seulement de la manière et dans le temps qu'il le fait et non autrement.
8. Dieu ne peut ni ne doit empêcher le mal.
9. Adam ne nous a pas transmis sa faute, mais seulement la punition de son péché.
10. Ceux qui ont crucifié le Christ sans le connaître n'ont point péché et rien de ce qui se fait par ignorance ne doit être imputé à faute. 

11 Le Christ n'avait pas l'esprit de crainte envers Dieu. 

12. Le pouvoir de lier et de délier a été donné aux Apôtres seulement et non à leurs successeurs.
13. Les actes extérieurs ne rendent l'homme ni meilleur ni pire. 
14. Au Père qui ne procède d'aucun autre appartient en propre ou d'une façon spéciale la puissance opérative, non la sagesse et la bonté. 

15. La crainte, même filiale, est exclue de la vie future. 
16. Le démon insinue la suggestion du mal par l'action des pierres et des plantes.
17, L'Avènement à la fin des temps peut être attribué au Père.
 
18. L'âme du Christ n'est pas elle‑même descendue aux enfers, mais seulement par sa puissance.

19. Ni l'acte extérieur, ni la volonté de cet acte, ni la concupiscence ou le plaisir qu'elle excite, ne constituent le péché, et nous ne sommes pas tenus de vouloir étouffer ce plaisir.

On peut sans risque refuser de partager le jugement du Dictionnaire de Théologie Catholique de Vacant et Mangenot  qui, sous la signature Portalié, écrit, col. 42, dans la première moitié du XXe siècle :
"A mesure que les écoles du XIIème siècle sont mieux connues, il devient évident que sans les condamnations d'Abélard et de Gilbert de la Porée le paganisme menaçait d'y régner en maître."
Cette affirmation rejoint l'absurde. Plus sage apparaît la notation de l'encyclopédie "Catholiscisme", sous la signature de G. Jacquemet :
"Abélard n'a certainement pas commis toutes les erreurs dont il fut accusé. Sa pensée était souvent subtile. Il ne semble pas que ses contradicteurs l'aient toujours comprise."
 On se reportera aussi aux travaux équilibrés et savants de Jean Jolivet de l'EPHS, comme l'article "Sur quelques critiques de la théologie d'Abélard" ,  p. 7 à 51, dans "Aspects de la pensée médiévale", Paris Vrin, 1987

Sur la toile en 2015.
CNRS
Presses Universitaires François-RABELAIS
"Conflits et polémiques dans l'épistolaire"
Ouvrage collectif sous la direction d'Elisabeth GRAVOILLE et François GUILLAUMONT, Tours, 2015, 542 p. Chapitre IVème, "Controverses religieuses et théologiques".


 Dans ce chapitre : Contribution de 15 p. de Laurence MELLERIN. "L'orchestration épistolaire de la lutte de Guillaume de Saint-Thierry et Bernard de Clairvaux contre Abélard."

L'auteure est agrégée de lettres classiques, docteure en histoire médiévale. Elle est chargée de cours aux Facultés de philosophie et théologie de l'Université Catholique de Lyon, directrice adjointe des "Sources Chrétiennes", chargée de la coordination de l'édition aux "Sources Chrétiennes" des oeuvres complètes de Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry. Etc.

Résumé de sa contribution : De la lettre d'avertissement à la lettre-traité. L'élément déclencheur. Similitudes et différences entre le dossier de Guillaume et celui de Bernard. La stratégie de Bernard après le Concile de Sens. La lettre de Guillaume a-t-elle été réécrite ?

On comprendra à la lecture de ce résumé que Laurence MELLERIN envisage une vue d'ensemble des lettres entre Guillaume et Bernard, avec un retour aux manuscrits si nécessaire, pour décrire la mise au point de la stratégie très savante de cette "machine de guerre" contre Abélard. En raison des manoeuvres de Bernard auprès des évêques convoqués à Sens, l'affrontement n'aura pas lieu et Abélard ne pourra obtenir au concile la joute dialectique qu'il attendait. Il refusera de se défendre et sera condamné. Il fera appel au pape sans succès et rejoindra l'abbaye de Cluny où il apprendra sa condamnation.

https://books.openedition.org/pufr/10946

Une méconnaissance assumée de la pensée d'Abélard.
Dans ce dossier consacré en réalité à Bernard, on trouvera peu d'informations sur les propres travaux d'Abélard, notamment sur sa "Theologia Scholarium"  (troisième version) qui était à l'origine de la controverse. C'est ce que constate volontiers Laurence MELLERIN. La lettre de Guillaume,  selon elle, comporte une exposé succinct des treize "capitula" .... d'Abélard, détachés de tout contexte et absents comme tels de ses oeuvres. Et encore : La flamboyante lettre 190 de Bernard a déplacé le conflit sur le terrain de l'attaque "ad hominem". Et plus loin dans la conclusion : Il convient simplement de réduire au silence le fauteur de trouble (Abélard) sans nécessité d'entrer dans la logique de sa pensée pour le contredire.

A Bernard néanmoins, la sympathie de Laurence MELLERIN.
L'auteure de l'article est trop experte, trop honnête et trop spécialiste de Bernard - dont elle a la difficile et savante mission de publier l'intégralité des oeuvres aux prestigieuses "Sources Chrétiennes" -  pour ne pas nous exposer clairement les failles du dossier à charge contre Abélard. Mais on sent, qu'insensiblement, sa sympathie penche malgré tout vers Bernard. A preuve, cette citation de l'historien Pierre AUBE choisie pour introduire sa conclusion :
Tout opposait Bernard et Abélard : "Pierre Abélard incarne tout ce dont Bernard se méfie : l'intelligence triomphante, l'arrogance dominatrice, les prouesses dialectiques, une célébrité immense fondée sur la foi passée au crible de la raison au détriment de la vie intérieure, l'obstination à tenir des positions qu'on croit à jamais conquises, l'orgueil que seul est venu briser, un moment, la condamnation pour hérésie (...) méthode fondée sur le doute."
Pierre AUBE, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, Fayard, 2003 p. 408

 

Pour aller, sur ce site, à ces nombreuses lettres de Guillaume, Bernard et autres.
 
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