ABÉLARD AU CONCILE DE SENS
La
ville de Sens |
Plan de la ville de Sens |
Cathédrale Saint-Étienne de Sens |
La première des cathédrales gothiques Vers 1135, l'archevêque
Henri Sanglier décide de remplacer la cathédrale du Xe siècle par un
édifice grandiose et digne de l'importante métropole sénonaise. Au
moment où s'élèvent partout des constructions romanes, Henri Sanglier
appelle un architecte novateur qui va proposer une conception
révolutionnaire du voûtement, la croisée d'ogives. Plus encore que
Saint-Denis, Sens allait être le premier chef d'oeuvre de
l'art gothique français. |
La date du
concile de Sens Il existe une
incertitude sur la date de ce concile : 2-3 juin 1140 ou bien les
25-26 mai
1141. En effet le concile a eu lieu à l'occasion de l'ostension des
reliques, le jour octave de la Pentecôte. Les auteurs de
l'introduction de la patrologie latine notent 1140. Charles
Rémusat, Régine Pernoud, Jean Jolivet, Mickael Clanchy
suivent cette datation ainsi que Pierre Aubé dans son "Saint
Bernard", parlant de "la date le plus souvent admise".
L'abbé Vacandard en 1881 avait adopté 1141, mais en 1891 il
change d'avis et conteste les arguments de Deutsch. C'est la
date de 1141 qui est retenue par Constant Mews et W. Robl. D'autres
spécialistes hésitent à trancher comme Maurice de Gandillac,
Jacques Verger. La date de mai 1141 laisse plus de temps au
déroulement du conflit et donne un délai plus long au pape
pour produire son rescrit de condamnation. En revanche elle
raccourcit le temps passé par Abélard avant son décès, chez
Pierre le Vénérable : huit à neuf mois seulement.
Voir Werner Robl : |
Le département de l'Yonne |
Les
préliminaires du conflit |
La nef de Sens |
Les 13 capitula que Guillaume a relevés dans "l'introduction à la théologie" | ||
1 | Quod fidem definitit aestimationem rerum quae non videntur | Il définit la foi comme l'estimation des choses que l'on ne voit pas |
2 | Qod impropria dicit esse in deo nomina Patri et filii et sprritus sanctisede descriptionem hanc plenitudinis summi boni | Il dit que les noms de Père, Fils et Saint Esprit sont impropres en Dieu et ne servent qu'à rendre la plénitude du souverain bien |
3 | Quod pater sit plena potentia, filius quaedam potentia, Spiritus sanctus nulla potentia | Le Père est la toute-puissance, le Fils une certaine puissance, et le Saint-Esprit n'est point une puissance. |
4 | De Spiritu Sancto quod non sit ex substantia Patris et Filii, sicut Filius est ex substantia Patri | Le Saint-Esprit n'est pas consubstantiel au Père et au Fils comme le Fils l'est au Père. |
5 | Quod Spiritus Sanctus sit anima mundi | Le Saint-Esprit est l'âme du monde |
6 | Quod libero arbitrio, sine adjuvante gratia, bene possumus et velle et agere | Nous pouvons vouloir le bien et le faire par les seules forces du libre arbitre sans le secours de la grâce |
7 | Quod Christus non ideo assumpsit carnem et passus est,ut nos a jure diaboli liberaret | Ce n'est pas pour nous délivrer de la servitude du démon que le Christ s'est incarné et qu'il a souffert la mort. |
8 | Quod Christus Deus et homo non est tertia persona in Trinitate | Jésus-Christ, Dieu et homme, n'est pas une des trois personnes de la sainte Trinité. |
9 | Quod in sacramento altaris in aere remaneat forma prioris substantae | Au sacrement de l'autel, la forme de la substance antérieure demeure dans l'air. |
10 | Quos suggestiones diabolicas per physicam dicit fieri in hominibus | Le démon inspire ses suggestions aux hommes par des moyens physiques. |
11 | Quod ab Adam non trahimus originalis peccati culpam sed poenam | Ce que nous tirons d'Adam ce n'est pas la coulpe, mais la peine du péché originel. |
12 | Quod nullum sit peccatum, nisi consensu peccati et contemptu Dei | Il n'y a péché que dans le consentement au péché et le mépris de Dieu. |
13 | Quod dicit concupiscentia et delectatione et ignorantia nullum peccatum committi; et hujusmodi non esse peccatum sed naturam | On ne commet aucun péché par la concupiscence, la délectation ou l'ignorance; il n'y a pas de péché en cela, mais seulement un fait naturel. |
L'attitude
de Bernard |
Les acteurs laïcs de ce conflit |
Aliénor d'Aquitaine |
La
souricière Il ne peut être question ici de rentrer dans le détail des péripéties de ce concile - qui n'est en fait qu'un synode local - ni dans la discussion des différents chefs d'accusation. Mais ce n'est pas sans raison que Pierre Aubé, biographe de saint Bernard, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, Fayard, 2003, intitule ce chapitre sur le concile de Sens, "la souricière". Il parlera aussi de "stratagème honteux". Jacques Verger, biographe d'Abélard, l'amour castré, Paris, Hermann, 1996, dira "traquenard". Abélard va être pris au piège que lui a tendu Bernard. Nous connaissons les faits par "la vita" de Bernard écrite par Geoffroy d'Auxerre, par l'apologie de Bérenger pour la défense d'Abélard et par la chronique d'Othon de Frisingen; enfin par les nombreuses lettres de Bernard : en plus des lettres 189 et 190 à Innocent II, cette autre lettre au pape rédigée au nom de Samson l'archevêque de Reims (191), puis celle à un jeune cardinal-prêtre (335), à l'abbé d'un monastère italien (336), au cardinal Aimeric chancelier de l'Eglise (338), à un ancien moine de Clairvaux, Etienne, cardinal évêque de Préneste (331), à Guy de Pise (334), cardinal diacre de Saints-Côme-et-Damien, à Yves,(193) cardinal-prêtre du titre de Saint-Laurent, à Grégoire Tarquini,(332) cardinal-diacre au titre de Saint-Serge-et-Bacchus, au cardinal Guy de Castello (192). Bernard, on le voit, n'a pas ménagé ses efforts, ni avant, ni après la réunion de Sens, pour mettre de son côté la curie romaine, répétant à l'envie les mêmes arguments. Avec énergie et partialité, Bernard sonne le tocsin pour la défense de la doctrine traditionnelle contre les "nouveautés" introduites par Abélard. |
Une réunion nocturne Alors que la confrontation publique souhaitée par Abélard devait avoir lieu le lendemain du dimanche de l'ostension des reliques, Bernard organise le soir même, le 25 mai 1141, une réunion secrète des évêques pour leur exposer les erreurs qu'il souhaite voir condamner. On y lit les capitula incriminés et on les condamne sans la présence d'Abélard. Même s'il faut prendre avec quelques précautions avec le récit polémique de Bérenger qui dénonce ce complot, on voit bien que Bernard a décidé de transformer la joute dialectique qu'il craint d'affronter en un procès dont l'issue est déjà jouée d'avance. |
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Le
concile du mardi 26 mai 1141
La réunion publique du lendemain
n'est plus qu'une formalité. Sans doute, les amis
d'Abélard sont là, avec les gens des écoles
parisiennes, Gilbert de la Porée, maître fameux et
futur évêque de Poitiers en 1148. Sans doute, parmi
le collège des évêques, Henri Sanglier, évêque de
Sens, Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres ont
autrefois soutenu Abélard. Un seul défenseur
d'Abélard se manifeste, le sous-diacre romain
Hyacinthe Boboni, prieur des sous-diacres du Latran,
brillant clerc de la curie romaine, peut-être ancien
élève d'Abélard - il deviendra pape plus tard sous
le nom de Celestin III -1191-1198. |
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On épiloguera longtemps
sur les raisons de ce silence : choc psychologique,
faiblesse physique, maladie soudaine ou simplement
stratégie de défense. En refusant le verdict de Sens
pour faire appel au pape Innocent II, Abélard
retarde une sanction dont la sévérité ne faisait
aucun doute. Si le délit d'hérésie était retenu
contre lui, l'enfermement à vie dans un monastère et
la réduction au silence l'attendaient
immédiatement. |
La
condamnation confirmée par Innocent II
Les articles d'Abélard condamnés à Sens Guillaume de Saint-Thierry |
LISTE
DES PROPOSITIONS CONDAMNÉES
1. Le Père est la
Puissance complète, le Fils une certaine
puissance, le Saint‑Esprit n'est aucune
puissance. 3. Le Saint‑Esprit est l'âme du monde.
4. Le Christ ne
s'est pas incarné pour nous délivrer du joug du
démon. 11 Le Christ n'avait pas l'esprit de crainte envers Dieu.
12. Le pouvoir de
lier et de délier a été donné aux Apôtres
seulement et non à leurs successeurs.
15. La crainte,
même filiale, est exclue de la vie future. On peut sans
risque refuser de partager le jugement du
Dictionnaire de Théologie Catholique de Vacant et
Mangenot qui, sous la signature Portalié,
écrit, col. 42, dans la première moitié du XXe
siècle : |
Sur
la toile en 2015. L'auteure est agrégée de lettres classiques, docteure en histoire médiévale. Elle est chargée de cours aux Facultés de philosophie et théologie de l'Université Catholique de Lyon, directrice adjointe des "Sources Chrétiennes", chargée de la coordination de l'édition aux "Sources Chrétiennes" des oeuvres complètes de Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry. Etc. Résumé de
sa
contribution : De la lettre d'avertissement à
la lettre-traité. L'élément déclencheur.
Similitudes et différences entre le dossier de
Guillaume et celui de Bernard. La stratégie de
Bernard après le Concile de Sens. La lettre de
Guillaume a-t-elle été réécrite ?
Une
méconnaissance assumée de la pensée d'Abélard. |
Pour aller, sur ce site,
à ces nombreuses
lettres de Guillaume, Bernard et autres. |